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végétariens car leur ventre est bourré de paille. De la sorte, quand nos vraies pièces deviennent trop agaçantes pour les nerfs pourtant bien lymphatiques de messieurs les Allemands ce sont les fausses batteries qui « écopent. » Je m’excuse d’employer aussi souvent ici des expressions un peu populaires ; mais le langage du soldat est une des joies de ceux qui font présentement la guerre et, une des seules qu’on puisse faire partager aux aimables lecteurs qui, dans un confortable fauteuil sous la lampe familiale, et pour faire venir le sommeil, lisent ces lignes en buvant une lénitive tisane.

Donc nous avons des fausses batteries qui dans le combat d’artillerie ont le même rôle que dans l’amour le délicieux « chandelier » de Musset. Elles attirent et distraient par cela même l’attention de ceux qu’il faut occuper. Hélas ! que j’en ai vu démolir de ces canons pour rire, innocentes victimes de la furor teutonicus, palladiums bénis des vrais canons d’acier. Mais après un bref passage à l’atelier, leurs pauvres gueules de bois, si vite démolies et si vite remises d’aplomb, étaient prêtes de nouveau à resservir en d’autres lieux pour de nouveaux exploits.


Reste le chapitre des chevaux, et de tous ces accessoires des batteries : avant-trains, caissons de ravitaillement, voitures d’approvisionnemens, forge, etc., qui constituent ce qu’on appelle « l’échelon. » Généralement et dans la guerre de stationnement que nous faisons depuis huit mois, les pièces ne se déplacent que rarement ; il n’y a donc pas d’intérêt à ce que les « échelons » restent dans leur voisinage immédiat, d’autant que ceux-ci étant trop près de l’ennemi non seulement courraient inutilement plus de danger, mais risqueraient de faire repérer les pièces elles-mêmes. Les chevaux, avant-trains et caissons sont donc placés à quelque distance en arrière des batteries* Le plus simple serait de les installer dans les villages et hameaux, où les maisons, granges et locaux abandonnés ne manquent pas.

On n’adopte cependant que rarement cette solution ; tous les villages et lieux habités sont en effet portés sur les cartes, dont l’ennemi est abondamment pourvu, et il ne manque pas