Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils seraient signalés par la présence de leurs servans aux avions qui périodiquement les survolent ; car ce que les avions remarquent surtout, ce sont les objets en mouvement, ou ceux près desquels il y a un mouvement. Lors donc qu’un avion ennemi est signalé à l’horizon, on prend généralement la précaution de cesser immédiatement le feu des canons (sauf lorsqu’il s’agit d’une de ces pièces spécialement braquées contre avions et que l’on place dans des situations particulières) ; puis les canonniers se précipitent, pour s’y dissimuler, dans les abris qu’ils se sont creusés en terre près de chaque pièce, et qui leur servent aussi de refuge en cas de bombardement trop intense. Je sais une batterie de 75 dans la Woëvre, qui est depuis cinq mois et demi au même emplacement, tout près des tranchées boches, en plein champ, pièces et caissons recouverts de simples bâches grises, et qui, malgré cela, n’a jamais été découverte par les reconnaissances journalières des avions boches. Ce résultat a été obtenu grâce à la précaution suivante : dès que l’observateur de la batterie situé en avant signale un avion ennemi en vue, on hisse immédiatement le « sémaphore. » À ce signal, c’est un plaisir de voir avec quelle prestesse les canonniers, abandonnant leur occupation, quelle qu’elle soit, — car le capitaine ne badine pas sur ce chapitre, — se précipitent comme des lapins au fond de leurs terriers. Seul reste à la surface du sol l’observateur d’avion, qui surveille les mouvemens de l’oiseau d’outre-Rhin et règle sur lui, par le moyen d’un minuscule téléphone, le tir d’une pièce placée à quelque distance dans le bois.

Mais si lourdauds que soient les Boches, et bien qu’ils ne voient pas communément nos batteries ainsi dissimulées et maquillées, ils soupçonnent bien que nous en avons quelques-unes, d’autant qu’à cet égard nos obus se chargent de leur ouvrir souvent la mémoire et même la tête. Pour donner une satisfaction à leur curiosité et leur fournir aussi quelque bel objectif destiné à assurer l’écoulement à leurs munitions et quelques croix de fer à leurs hauptmanns d’artillerie, nous avons donc dissimulé… à demi, de place en place, de fausses batteries. C’est généralement des 75 ; à dix mètres on se méprendrait sur leurs canons de bois peints en gris bleu, d’autant qu’on s’arrange pour dissimuler… toujours à demi, dans le voisinage quelques faux artilleurs qui doivent assurément être