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avaient laissé, outre une expérience consommée, un certain scepticisme à l’endroit des grandes Puissances. Les unes comme les autres lui paraissaient à craindre, quand leurs intérêts ennemis menaçaient la libre existence des petits États.

Voilà les griefs, cent fois ressassés depuis des mois, qu’a brandis le gouvernement allemand, afin de se justifier et de laisser croire au monde civilisé que la Belgique avait la première manqué aux devoirs d’un État neutre et traité dans l’ombre avec l’Angleterre et la France. La clameur d’indignation qui salua en Europe, et surtout aux États-Unis, l’envahissement de notre pays, avait déconcerté le chancelier et son entourage. Comment légitimer cette brutalité de traitement, aggravée par les crimes d’une soldatesque effrénée ? Des fouilles persévérantes, pratiquées dans les archives des ministères belges, amenèrent la découverte, parmi les papiers de l’état-major, des rapports Ducarne et Jungbluth, ainsi que d’une copie de celui du comte Greindl. Trouvaille inespérée ! Vite la Gazette de l’Allemagne du Nord s’empresse de la communiquer au public, en se plaignant que la Belgique eût fait une convention militaire avec l’Angleterre et la France, sans en donner avis à l’Allemagne et sans en proposer une autre du même genre à cette Puissance, en prévision d’une agression française ou anglaise. L’organe de la Wilhelmstrasse, ne pouvant fournir de la convention aucune preuve, pour la bonne raison qu’elle n’existait pas, se permit d’altérer le rapport Ducarne en traduisant le mot conversation dans cette phrase : « Notre conversation est confidentielle, » par « Abkommen, » qui signifie convention. Grâce à ce faux, la crédulité germanique, accoutumée à accepter les yeux fermés tout ce qui porte l’estampille du gouvernement, n’a plus voulu douter de la traîtrise de la Belgique. Des jurisconsultes teutons ont publié à cette occasion de pesantes consultations contre notre malheureux pays, qu’il ne suffit pas de saccager et de détruire : on le veut encore déshonorer.

Si bien que le chancelier ne craignit pas de soutenir devant le Reichstag, quelques mois plus tard, qu’il avait déjà, le 4 août, des indices de la trahison de notre gouvernement envers l’Allemagne, avant d’en posséder des preuves écrites. Est-il croyable que, dans son discours du 4 août, il n’ait pas soulagé sa conscience de tout remords en parlant de ses soupçons ? Est-il