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mener vers le sain travail des champs, des labours et des fécondes récoltes le surnombre de ses jeunes compatriotes. Il leur eût, virgilien, composé de persuasives Géorgiques : mais il a préféré leur dédier les deux formidables tomes de sa Guerre d’aujourd’hui.

Bernhardi préfère la guerre, de même que l’Allemagne préfère l’industrie à l’agriculture. Il s’agit d’une préférence, et non pas d’un besoin réel, comme Bernhaidi l’affirmait d’abord. Et l’argument n’est plus impérieux comme il l’était. Mais Bernhardi réclame, pour son Allemagne, le droit de choisir, et déposer en principes ses préférences. Je crois que c’est ici qu’on l’arrête et qu’on le prie de commenter sa revendication, d’établir ce droit de l’Allemagne à la désinvolture. On l’ennuie, par de telles questions. Le droit de l’Allemagne, c’est évidemment, à ses yeux, la force de l’Allemagne. Tout de même, étant philosophe et n’écrivant pas seulement pour ses camarades, il consent à orner de malins prétextes sa vivacité d’ambition. Le stratagème le meilleur de sa polémique, ce n’est pas lui qui l’a fabriqué. Il le tient de ces subtils auxiliaires du pangermanisme, les historiens allemands ; et le voici, en peu de mots : l’Allemagne a, dans le monde et dans les siècles, une mission tout à fait spéciale et quasi providentielle à remplir. Le peuple de Germanie est essentiellement civilisateur.

Il n’y a guère de contre-vérité plus patente. Pour réfuter ce dangereux sophisme, nous n’avons pas uniquement les faits incontestables qui résultent de la présente guerre et l’évidence de la barbarie que l’Allemagne y dévoile avec cynisme : nous avons l’histoire tout entière, non celle que le pangermanisme rédige, la vraie histoire, qui prouve que jamais aucune idée de civilisation ne s’est répandue de la, Germanie au dehors, que jamais les Germains n’ont su eux-mêmes, de leur propre initiative, se polir, et que leur civilisation, généralement imparfaite, ils l’ont toujours empruntée, surtout à la France. Le grand Fustel de Coulanges, authentique historien, le déclarait, à cette place, il y a plus de quarante ans, et M. Reynaud, de qui j’ai signalé les études méticuleuses, a mis hors de discussion les dires de Fustel de Coulanges. Le rôle civilisateur de la Germanie est une imagination très avantageuse et mensongère du pangermanisme. Bernhardi l’adopte résolument. C’est merveille de le voir embrouiller, sans maladresse, dans ses phrases, la mission de l’Allemagne et les besoins de l’Allemagne, besoins matériels et idéale mission. Il écrit : « la mission qui découle de notre histoire, de nos qualités nationales, — et du chiffre de notre population… » Il écrit : « Par son passé et ses