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ils estimaient que cette contrée, la plus proche de leurs lies, était indiquée par la nature pour faire partie du domaine japonais. La suzeraineté de ce pays, au nom poétique de la Fraîcheur matinale, appartenait à la Chine, empire débile et décadent ; il serait facile de réduire à néant cette souveraineté si faible. La Chine elle-même, immense, dix fois plus peuplée que le Japon et qui semblait être un grand corps paralysé, sans nerfs, sans muscles, sans force de résistance, ne pourrait-elle pas, elle aussi, subir d’abord la forte influence, puis la direction, la domination peut-être du peuple insulaire et guerrier ?

Nombreux sont les Japonais qui ont envisagé cette hypothèse ; plusieurs l’ont exposée en leurs écrits comme une vue d’avenir appelée à se réaliser fatalement. Toutefois, ceux-ci ne se dissimulaient point les obstacles à surmonter pour atteindre ce but. Déjà, grandes, moyennes et petites Puissances de race blanche s’étaient installées en Chine, avaient imposé leur volonté à la dynastie valétudinaire des Tartares-Mandchoux ; elles dessinaient sur les cartes de ce pays ce qu’elles appelaient des sphères d’influence, domaine réservé à chacune de ces étrangères ; elles parlaient même, à certaine époque, de partager le vieil empire comme un immense gâteau.

Ceux des hommes d’État japonais qui rêvaient d’hégémonie trouvaient sur leur chemin l’Angleterre, la France, l’Allemagne, les États-Unis, la Russie, sans parler de l’Italie et du Portugal. Mais tout Asiatique, diplomate par nature, sait que la politique des intérêts est la mère des discordes. Cet ensemble formidable n’était pas un bloc dans lequel ne pût jamais se produire quelque fissure amenant la désagrégation. La diplomatie japonaise ne renonça donc pas à ses vues. Asiatique et donc patiente, elle s’en remit au temps de faire son œuvre.

Doit-on supposer que les hommes politiques chargés de la direction des affaires extérieures du Japon ont eu également l’intention de voir un jour l’Indochine française entrer dans l’orbe de leur action ? Les Annamites, qui peuplent trois des cinq parties de l’Union française indochinoise, ne sont-ils pas, eux aussi, des hommes de race jaune, propres par-là même à recevoir l’impulsion directrice du peuple de cette race, possédant, avec la force militaire, les méthodes d’action de la civilisation moderne ? Déjà, un grand lettré, le vieux vice-roi chinois