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s’ébat la jeunesse guerrière avant d’affronter la mort partout suscitée. Entre las deux lits de noyer, dans cette modeste chambre de ferme, au téléphone, une intelligence veille qui reçoit, comprend les idées offensives de l’état-major. Le lieutenant calcule, devant la planchette du graphique, les angles et les nombres à transmettre. Il les fixe. Il métamorphose la volonté de la nation en une puissance, cette parole murmurée contre le disque vibratile, et entendue par quatre groupes de soldats, en quatre endroits des alentours. Parole qui se transforme en gestes de pointeur, de servans, de tire-feu. Elle devient quatre élans de l’épouvantable foudre qui va menacer, peut-être écraser l’agression des barbares découverts, tout à l’heure, à deux lieues d’ici, en un repli de terrain, et du haut du ciel, par le télescope de l’aviateur si rapide entre ses élytres blonds, derrière le halo de son hélice brillante.

Mon ingénieur s’enivre de songer à cette force épanouie de la science humaine qu’il traduit sans cesse en actes formidables et lointains. Son éloquence, son geste nous entraînent hors de la métairie, par les champs. Il faut y éviter les fils de transmission simplement posés à terre parmi les mottes. Plus fréquente, la canonnade broie les airs. Elle tonne, elle gronde dans l’horizon éclairci. Nous pataugeons sur une emblavure grisâtre et grasse. Nous avons abandonné l’automobile dont la superstructure, ici, présenterait une cible aux observateurs des batteries boches. La vaillante infirmière, le comte de Beaumont et moi, nous suivons tant bien que mal le guerrier heureux de marcher contre le vent, et de discerner, parmi les explosions, leurs nationalités, la belge, la française, l’allemande, ou la qualité de leurs artilleries, la lourde, la légère, même les calibres de leurs pièces, 77, 120, 150, 305.

En bandes, les passereaux s’envolent devant nos pas soucieux de ne pas butter dans les fils peu visibles. Il parait qu’au début les tirailleurs marocains et sénégalais ignoraient complètement l’usage de ce laiton. Ils en firent des collets à lapins. A plusieurs reprises même, les artilleurs n’entendant plus rien, vinrent, la huit, constater l’inexplicable dégât, et rafistoler leurs lignes. Alors ils furent houspillés, voire canardés par ces amateurs de gibelotte, gardiens sévères de leurs pièges et de leur gibier contre les maraudeurs de toutes espèces.

Le poste suprême de transmission occupe une petite ferme