Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de plaisir faite pour un soleil radieux éclairant les ombrelles multicolores des baigneuses.

Les blessés guérissent à l’Hôtel de l’Océan, transformé en hôpital par le docteur Depage, l’ami de Vandervelde, le chirurgien dont les idées scientifiques et sociales instruisent les élites de toutes les patries. Pour cette œuvre, Mme Depage recrutait, aux Etats-Unis, des collaboratrices, et rassemblait des fonds avant de s’embarquer sur la Lusitania. Elle a péri dans le naufrage de ce navire torpillé par les Allemands du sous-marin. La Reine s’occupe beaucoup de l’installation. Le bâtiment est spacieux, très clair. Dans les chambrées plaisantes des baigneurs, quelques infirmières choisies soignent avec des précautions exigeantes pour le confort, maints soldats ravis d’être blessés un peu ; car ils ne connurent jamais tant de gâteries subtiles et assidues.


II

Le dimanche, beaucoup de soldats se dirigent en bavardant vers l’église blottie entre les dunes du Sud. Trop nombreux ils se massent dans la nef simple, neuve et nue, toujours menacée par les avions du Barbare. En chœur, avec l’orgue, des voix, plus sévères alors, chantent les oraisons. Elles demandent au Sauveur son courage de crucifié. Puis les hymnes nationaux des Alliés s’élancent, unanimes, par les verrières, jusqu’au soleil pâle, successivement. L’assistance s’écoule lente, sur le parvis sablonneux, en recoiffant ses bérets noirs à bandes rougeâtres. Elle a pris conscience de sa force unie aux forces anglaises, russes et latines. Soudain, elle cesse de causer. Elle se range, s’aligne, se raidit militairement. Elle regarde les villas dernières qui marquent la fin de la cité sur les dunes. De la sort et s’avance un jeune officier blond, très grand, très droit, en capote usée de fantassin. L’armée salue le plus noble roi de l’histoire, son roi, digne d’un portrait qu’eût signé van Dyck. Une jeune femme simple, un écolier grave l’accompagnent par le sable mouillé du chemin. Les deux haies de soldats sans armes rendent hommage, la main contre la tempe, et le cœur battant, à ces trois êtres qui firent plus belle encore l’antique conception de l’honneur. Fièrement, l’armée belge rend hommage à leur gloire sans pareille, à leur infortune pleurée