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main. On leur en a donné beaucoup, aux gares de Suisse, hommage discret au patriotisme souffrant.

Parmi les réfugiés qui s’égrènent en sortant de la salle, je vois circuler un jeune prêtre, le visage émacié, l’expression triste : c’est le curé des Eparges, qui attend encore de ses paroissiens au passage. Il n’en recevra plus, je pense ; le communiqué d’aujourd’hui annonce que les Eparges sont nôtres de nouveau, après une lutte coûteuse et prolongée.

Nous sortons, avec le commissaire spécial, qui veut bien nous accompagner au bureau où sont classées méthodiquement les fiches individuelles. Plusieurs jeunes femmes opèrent ce travail, et, de plus, se chargent de répondre aux demandes écrites qui sont adressées au sujet des rapatriés. Aujourd’hui, je fais appel à leur complaisance pour savoir où ont été envoyés quatre orphelins remarqués à Zurich cette semaine. Après quelques minutes, les voici repérés. On m’indique la ville où se trouvent logées, par les soins du préfet, les familles du convoi dont ils faisaient partie. Ce renseignement porte à quarante le nombre des indications fournies dans la journée par le bureau. Quarante « retrouvés. » Chaque jour donne des résultats analogues. Au surplus, les listes complètes et détaillées des évacués composant les convois sont envoyées au fur et à mesure à la Direction de la Sûreté générale, qui prend soin de leur publication.

Nous nous rendons maintenant à la gare, où stationne le train que va reprendre le convoi. Sur le quai, plusieurs centaines de petits sacs, portant des noms, sont amassés. C’est ce que possèdent maintenant les voyageurs arrivés si pauvres à la frontière suisse. Tous ces colis vont être placés dans un fourgon qui sera plombé, pour être rendus à leurs propriétaires à leur arrivée à destination définitive. C’est à Annemasse, en effet, qu’est signifiée cette destination. Ce soir, le convoi se rend à Thonon, comme celui d’hier et celui de demain ; mais, après vingt-quatre heures de repos, ce sera à Perpignan, à Carcassonne ou à Dijon, selon le classement départemental opéré par le ministère de l’Intérieur. La composition des convois reste à peu près la même qu’à l’arrivée en Suisse : on ne garde, par exception, à Annemasse, pour y être hospitalisés, que les malades qui ne seraient pas en état d’aller plus loin. Une liste numérotée des êtres de chaque convoi est remise au convoyeur, qui