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qui adorent leurs enfans, mais qui sont très capables, poussés par des ambitions politiques, d’envoyer les enfans des autres à la boucherie. Admirable matière à développer dans des prédications socialistes et républicaines.

J’ai rencontré plusieurs fois l’héritier de la couronne impériale d’Autriche, notamment à Vienne, en 1910, où j’avais l’honneur d’accompagner mon souverain, et deux ans plus tard à Munich aux obsèques du Prince Régent. Chaque fois, la mine renfrognée de ce Habsbourg aux traits lourds, plutôt corpulent, très différent du type héréditaire élancé de ces ancêtres, m’a curieusement frappé. L’abord n’était certainement pas engageant ni la physionomie sympathique. La duchesse de Hohenberg que j’ai retrouvée faisant avec grâce les honneurs du palais du Belvédère, après l’avoir connue, petite fille, dans la maison de son père, ministre d’Autriche à Bruxelles, avait conservé en sa haute situation la simplicité souriante de la famille Chotek ; ce qui n’excluait pas sans doute chez elle, pour elle-même et surtout pour l’aîné de ses fils, une ambition allant jusqu’à la vision d’une double couronne,


II

La nouvelle de l’assassinat de l’archiduc et de sa femme, inséparables même dans la mort, éclata à Berlin dans l’après-midi du dimanche 28 juin, comme un coup de tonnerre inattendu au milieu d’une calme journée d’été. Je me rendis aussitôt à l’ambassade d’Autriche-Hongrie, pour exprimer à l’ambassadeur toute l’horreur dont m’avait frappé ce drame sauvage. Le comte Szogyény, doyen du corps diplomatique, était à la veille de quitter son poste où il résidait depuis plus de vingt ans, honoré de tous ses collègues. On se disait à l’oreille que son remplacement avait été exigé par l’archiduc François-Ferdinand, préoccupé de rajeunir les cadres diplomatiques. Je trouvai l’ambassadeur accablé par l’affreuse nouvelle. Il paraissait rempli d’angoisse à la pensée de son vieux souverain, qu’entouraient tant de cercueils, et de l’empire dualiste, privé de son pilote le plus capable, n’ayant plus pour le diriger qu’un octogénaire appuyé sur un jeune homme de vingt-six ans. Je quittai l’ambassade avec M. Cambon, qui s’était rendu chez