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eux-mêmes ont dû le reconnaître et en ont été un peu embarrassés, sentiment qui ne leur est pas habituel. Ils avaient commencé par envoyer des corps de cavalerie et d’artillerie légère en Courlande, si loin du théâtre actuel de la guerre qu’on ne s’y attendait nullement, et qu’il n’y a pas eu grande résistance. Mais à quoi peut servir une opération aussi excentrique ? Les Allemands ont-ils voulu donner à croire qu’ils ont des soldats de reste et qu’ils peuvent, sans se gêner, les employer à des entreprises de cette envergure ? Ont-ils espéré, par cette diversion lointaine, inquiéter les Russes et les obliger à détourner vers le Nord une partie de leurs forces ? Quel qu’ait été leur calcul, il a été déjoué. Les Russes n’ont éprouvé aucune crainte et ont continué de se battre là où la lutte a un objet immédiat. Tout l’effort, en ce moment, est au Nord des Carpathes. Les Russes, on le sait, se sont emparés de presque tous les cols qui devaient leur permettre, quand la fonte des neiges les aurait rendus praticables, d’envahir la Hongrie. Jusqu’ici l’opération avait réussi ; la menace inquiétait pour Pest ; il était vraisemblable que, dès qu’elle serait en voie de s’effectuer, la Roumanie sortirait de la neutralité pour tendre la main aux Russes et pénétrer dans la Bukovine et la Transylvanie. L’armée autrichienne, réduite à ses seules forces, était impuissante à conjurer le danger. Les Allemands l’ont senti et sont venus au secours de leur allié par une manœuvre dont il faut avouer qu’elle a été bien conçue et exécutée. Elle a consisté, les Russes étant déjà sur les Carpathes, à les inquiéter sur leurs derrières et sur leurs flancs. A l’Est, les Autrichiens ont opéré dans la région de Striy, au Sud de Lemberg et à l’Ouest, les Allemands se sont avancés jusqu’à la Dunajec, affluent de la Vistule : ils l’ont traversée et se sont établis sur la rive droite. On ne saurait nier que ce ne soit pour eux un avantage, mais il serait très excessif d’en dire plus. L’état-major russe, avec la bonne foi qui lui est habituelle, a reconnu le fait en ajoutant que ses troupes s’étaient retirées sur une seconde ligne de défense. En effet, la bataille continuent on y apporte de part et d’autre un grand acharnement : il est impossible de dire dès maintenant quel en sera le résultat.

Les échecs russes n’ont jamais tiré jusqu’ici à grande conséquence ; ils ont toujours été réparés très vite. Est-ce pour ce motif que les Allemands, aussitôt qu’ils ont le plus léger succès, ne perdent pas une minute pour l’annoncer à l’univers et pour en jouir bruyamment ? Cette fois, ils ont dépassé la mesure, même celle qui leur est habituelle ; ils ont proclamé qu’ils avaient remporté une