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succès populaires. L’auteur de ces pièces, adoptées par le public français, devait être suspect aux représentans de la Kultur. Le fait est que, se trouvant à Bruxelles où il n’avait pas voulu quitter le théâtre qu’il dirige, il fut arrêté dès les premiers jours de l’occupation allemande. Emprisonné au ministère de l’Intérieur, il vit de ses yeux les arrestations arbitraires, les parodies de justice, les mauvais traitemens infligés par la brutalité teutonne à de paisibles citoyens. Rendu à la liberté, il considéra comme un devoir de raconter ce qu’il avait vu. Et, puisqu’il était écrivain de théâtre, il présenta son récit sous la forme et par les moyens du théâtre.

La Commandantur est cela même : une déposition de témoin. C’est à peine une pièce. L’auteur y a introduit, de propos délibéré, l’intrigue la plus mince, l’affabulation la plus banale. Une famille de petites gens parfaitement inoffensifs : le père est arrêté sous l’inculpation d’espionnage. Après plusieurs semaines d’une détention ignominieuse, et faute d’avoir pu relever contre lui l’ombre d’une charge, on le relâche. C’est tout. L’intérêt réside uniquement dans les détails dont on sent que chacun a été pris sur le vif et peint d’après nature. En bon Flamand, avec une naïveté de Primitif, avec une minutie de réaliste, M. Fonson a peint Bruxelles sous la botte allemande. Dans la ville malheureuse, qui n’a pas cru au danger, qui maintenant encore à peine à concevoir le degré de son infortune, règne une atmosphère de stupeur. C’est, depuis cinq jours, un bruit de régimens qui passent, un défilé qui ne cesse pas, une musique qui met les nerfs à la torture. « Si un tel supplice devait durer seulement quinze jours, on n’y résisterait pas, » dit un personnage. Hélas ! et nous sommes au mois d’août ! Des nouvelles circulent, de bonnes nouvelles qui par conséquent sont de fausses nouvelles. Les nouvelles vraies, c’est la destruction de Louvain, ce sont les incendies et les massacres, et les morts, et les médailles des fils tués aux forts de Liège, qui reviennent aux mères désolées. — Sur la dénonciation d’un Allemand, Siegfried Weiler, qui jadis fut reçu dans la maison et courtisa Mlle Beulemans, je veux dire Mlle Catherine, le vieux M. Jodot est arrêté.

Au second acte, la salle commune du ministère de l’Intérieur où M. Jodot est détenu avec les autres prisonniers. C’est l’acte ou plutôt le tableau le plus caractéristique. Est-ce un compliment, est-ce une critique que j’adresse à M. Fonson, en lui disant qu’on se croirait au cinéma ? J’imagine à peu près ainsi les films qu’on a décidé de promener chez les Alliés et dans les pays neutres’ pour l’édification du