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polonaise du grand-duc Nicolas. Nul moyen, selon lui, d’entretenir l’ombre d’un doute touchant non seulement la parfaite sincérité-de cette promesse solennelle de délivrance, mais aussi touchant les suites merveilleuses qui en découleront. Au reste, la proclamation elle-même n’a fait que sanctionner officiellement un vrai « miracle » de réconciliation fraternelle accompli dès l’instant où la Russie a senti « s’envoler de ses épaules le funeste petit diable allemand » qui, depuis des siècles, était venu s’y loger.


Car, malgré la commune origine slave des Polonais et des Russes, et malgré leur étroite parenté psychologique, combien ces deux peuples frères se sont haïs ! Je me souviens d’un temps où j’avais l’impression de commettre. — fort innocemment, — une insulte à la Pologne en parlant russe dans un magasin polonais, en me servant de la langue russe pour commander mon diner dans un restaurant de Varsovie. Tout cela n’était que d’hier : et aujourd’hui, ah ! si vous saviez combien aujourd’hui tout cela est changé !

Je viens de passer quelques jours dans la belle vieille cité de Wilna, une cité de courtois Polonais, et la demeure d’un bon nombre des plus anciennes familles nobles de Pologne. Wilna est maintenant encombrée d’officiers et de soldats russes. Dans la rue principale, c’est un défilé incessant de troupes, avec une perspective sans fin de baïonnettes pointues frémissant çà et là comme des roseaux sous le vent. De mon lit, la nuit, j’entendais sans arrêt un pas lourd de soldats. Ou bien je regardais à ma fenêtre, et j’apercevais des chariots et des canons passant d’affilée pendant vingt minutes, j’assistais au spectacle pittoresque d’innombrables Cosaques galopant de leur mieux dans un marais de boue. Naguère, les Polonais se mordaient les lèvres à force de haine, en voyant les soldats russes. Aujourd’hui ils sourient, des larmes coulent sur leurs joues, ils vont même jusqu’à crier des hourrah ! Qui donc aurait rêvé qu’un jour arriverait où les Polonais acclameraient les troupes russes s’avançant par les rues de leurs villes ?

A Wilna tout de même qu’à Varsovie, les Russes sont désormais pardonnés. On sait qu’ils viennent à présent pour délivrer leurs frères, et non plus, comme autrefois, pour les fouler aux pieds. Lorsque, dans un restaurant, je commande mon dîner en russe, chacun me sourit amicalement. Être un Russe, c’est dorénavant être un ami. Et, pareillement, les Russes, avec l’aptitude particulière des Slaves à des retours soudains et complets de sentimens, se montrent tout affectueux à l’égard des Polonais. On m’a dit que, depuis la proclamation du grand-duc Nicolas, les libraires avaient été hors d’état de suffire aux demandes d’une foule de cliens russes de toute condition, désirant acheter des grammaires et des dictionnaires polonais.

Un spectacle bien touchant m’a été offert, tous ces jours-ci, devant la vénérable Porte Sainte de Wilna. Au-dessus de cette porte se trouve une chapelle, dont le fond est occupé par une image de la Vierge richement