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Malgré la victoire de nos armes, victoire qui sera bientôt définitive et complète, l’état de nos finances publiques, après cette ruineuse guerre, sera des plus précaires. La réparation des dommages prodigieux de la guerre sera un gouffre sans fin. Huit départemens ravagés ! un million de pensionnés ! tout un matériel militaire, agricole et industriel à reconstituer ! Les budgets futurs seront écrasans, et aucune indemnité de guerre ne pourra les combler. Alors, comment imposer à ces budgets futurs, déjà énormes, une dépense supplémentaire de cinq cents millions ; cinq milliards en dix ans ?

Seulement cette charge, qui paraît très lourde, ne sera une charge qu’en apparence. Les Français adultes donneront 500 millions aux Français nouveau-nés : voilà tout. La fortune sera répartie différemment entre les citoyens français, et ce n’est pas bien grave. Le budget sera grevé de 500 millions ; soit, mais ces 500 millions n’auront pas disparu ; ils seront versés aux Français par des Français. Ce n’est pas un appauvrissement.

Et puis, vraiment, on n’a pas le choix. Ce n’est pas une dépense somptuaire. Il s’agit de ne pas disparaître, et tout est préférable à la mort.

Le dilemme suivant est irréfutable. Ou continuer les erre-mens anciens ; ou avoir l’audace d’inaugurer un système nouveau. Si l’on continue les vieilles méthodes, chères aux doctrinaires, la France périt. Pour la sauver, notre chère France, il faut être hardiment novateur.

C’est à peu près comme si, aujourd’hui même, sous prétexte que la fabrication des fusils, canons, obus, cuirassés et avions, est coûteuse, on ne voulait pas, dans la lutte gigantesque qui se livre, engager cette lourde dépense. Ne traiterait-on pas d’insensé celui qui oserait nous dire : « Economisons notre or et notre argent. Ne fabriquons ni obus, ni cartouches : c’est trop cher. »

Eh bien ! il me parait que celui-là serait tout aussi insensé, qui oserait dire : « Economisons notre or et notre argent, et laissons s’éteindre la nation française. Il serait trop cher de la faire vivre. »


CHARLES RICHET.