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si nous irions. La difficulté d’avoir des voitures, très demandées, et qui coûtaient quarante ou cinquante piastres pour le trajet d’Athènes au Pirée, nous faisait fort réfléchir. Enfin, nous nous décidons le soir à y aller. Nous enverrons Constantin d’avance au Pirée, avec nos effets, et là, nous nous y habillerons. J’emporte ! e costume de l’endroit, habit brodé, tricorne et épée, un vrai costume de sergent de ville. J’avais l’habit de Mézières et le tricorne et les souliers vernis de Beulé, avec aussi son épée. Nos paquets sont faits, et Constantin les porte en nous précédant ; mais ce vieux bonhomme a la bonne idée, avant de partir par la grande route, de nous faire passer par la place des voitures. Nous sommes aussitôt assaillis par une foule de cochers qui n’avaient pas trouvé pratique ; les demandes exorbitantes avaient fait reculer les gens économes. Enfin, nous faisons prix avec l’un d’eux, qui nous mène au Pirée pour deux drachmes. Il y avait loin des prix de la journée.

« Nous arrivons à la frégate, toute décorée et toute pavillonnée ; puis des lustres en fusils, en pistolets, des candélabres avec des canons, des consoles avec des revolvers et des faisceaux de haches et de sabres, tout cela, ma foi, fort bien arrangé. A neuf heures, on annonce Leurs Majestés. Le tambour bat aux champs, et le roi Othon pénètre, avec sa femme, sur le pont de la frégate. Le Roi avait le costume du pays, fort beau et fort riche, mais pas fort joli ; une fustanelle trop ample, qui ressemblait à un jupon empesé, gâtait tout le costume. Quant à la Reine, elle était mise comme une femme de la halle dans ses beaux habits du dimanche : robe rouge groseille avec bouffettes bleues, coiffure de diamans cachée dans de gros nœuds de rubans bleus et rouges. C’était d’un canaille !… Le bal s’ouvre, le Roi danse avec Mme Forth-Rouen, dont le mari danse avec la Reine. Je danse avec Mlle Pittakis, plus enfarinée que jamais. La danse finie et mes devoirs remplis envers la seule demoiselle que je connusse, je me mis en observation et je passai vraiment deux bonnes heures à admirer tous les costumes.

« C’était une vraie merveille ; chaque pays, chaque province avait là représentans ou représentantes dans leurs plus beaux atours ; c’était étincelant de couleur et d’or, et d’une invention dont je n’avais ni ne pouvais avoir l’idée. Combien je regrettais de Curzon, et que j’étais taché qu’il ne fût pas là ; il eût aussi été bien heureux de cette magnificence. Nous aurions passé