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riaient bêtement en me regardant. « Buon giorno, me dit le plus grand, vous allez bien ? » Je lève la tête, pensant que j’avais affaire à des marins polyglottes, et leur demandai en français et en italien ce qu’ils désiraient. « Buon giorno, vous allez bien ? — Mais oui, mais oui, et vous ? — Vous allez bien ? Buon giorno. » Je ne m’occupe plus d’eux, et je continue mon déjeuner. Au bout de deux minutes : « Buon giorno, vous allez bien ? » Nouveau silence et nouveau : « Vous allez bien ? » juste dit comme dirait un perroquet, et avec cela ils riaient comme des imbéciles, avec de grandes dents et une mâchoire rayée. Ma foi, après une dizaine de « Vous allez bien ? » et autant de Buon giorno, impatienté, je me levai, les pris par les épaules et les mis à la porte. Ils s’en allèrent sans rebiffade, en ouvrant davantage la bouche, riant à se mordre les oreilles et en répétant : « Buon giorno, vous allez bien ? » En revenant, Constantin, qui avait rencontré mes deux Grecs, m’apprit que j’avais mis à la porte le gouverneur de l’île et son adjoint. Horreur ! Ils venaient au surplus me dire que, pour fouiller, il fallait écrire à Athènes ; et dire que, pour cette bonne nouvelle, je les ai si mal reçus ! J’irai les voir à Egine avec Constantin, qui leur expliquera ma méprise. Aussi faut-il être bête de se déranger pour me dire à peu près : Zut ! et pour ne pas savoir le français. Ce sont des Grecs ingrats, ils devraient être destitués. »

Malgré cela, le travail de Garnier fut rapidement mené, et avec un sentiment très réel de l’architecture antique. Il lui fit grand honneur plus tard, quand l’auteur le soumit à l’Académie des Beaux-Arts, qui jugea la restauration neuve et complète, et en accepta les conclusions sur la polychromie des temples grecs, une question alors fort débattue. Garnier la tranchait par ses trouvailles, et il pouvait maintenant, après des constatations aussi heureuses, oublier les fatigues de son isolement, pour venir à Athènes retrouver les amis qu’il y avait laissés. Le 25 avril, il y était de retour, après divers incidens, dont le manque d’argent fut le principal. Dès le lendemain soir, il allait assister, en compagnie d’About, à une soirée dansante sur la frégate française le Charlemagne, stationnaire au Pirée. Écoutons-le narrer cet épisode, dont About, sans qu’il s’en doute, fait une partie des frais.

« 27 avril. — Je suis allé hier soir au bal de la frégate. Toute la journée, About et moi, nous étions indécis pour savoir