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scène pour d’autres acteurs et d’autres tragédies. Les esprits les plus froids, les plus réalistes, les positivistes les plus endurcis ont senti que la partie qui se jouait dépassait infiniment l’habituelle portée des démarches humaines ; ils ont eu le frisson du mystère qui enveloppe nos destinées collectives ; ils ont entrevu l’abime obscur où plonge l’humanité périssable ; ils ont frémi au souffle de la Fatalité qui passait ; et ils n’ont point dissimulé leur émoi. « Recueillons-nous ! Prions ! » écrivait M. Emile Faguet dans l’attente de la « grande bataille ; » et M. Clemenceau lui-même a parlé de la Providence. Rappelons-nous encore l’article célèbre, l’article enthousiaste et lyrique de « R. Stalky » dans le Times : « Deux fois déjà auparavant, dans le cours des siècles, à Poitiers et dans les champs catalauniques, un combat pareil avait eu lieu sur le sol de la France, et maintenant, pour la troisième fois, c’est la haute et dure destinée de ce pays d’être la nation gardienne, et ce n’est pas un simple accident, car la France est le trésor le plus haut que ces barbares consciens voulaient détruire. » On pourrait multiplier les témoignages. Jamais plus universellement qu’aujourd’hui l’interprétation mystique de l’histoire n’a paru plus naturelle et plus raisonnable.

Un autre important facteur dont il y a lieu de tenir compte, c’est la présence des prêtres sous les drapeaux. S’il y a une loi dont nos aimables anticléricaux ne pouvaient prévoir toutes les conséquences, c’est celle qu’ils ont baptisée, avec l’ineffable élégance qui caractérise leur langage, « la loi des curés sac au dos. » Les prêtres-soldats, comme c’était à prévoir, et comme nous l’apprennent toutes les lettres qui nous viennent du front, ont été d’abord des soldats admirables, de prestigieux entraîneurs d’hommes : ils ont enseigné l’héroïsme non seulement par leurs paroles, mais par leur exemple. Et puis, ils ont rempli leur mission de prêtres, dans les conditions peut-être les meilleures où l’apostolat ecclésiastique puisse s’exercer : ils ont exhorté, consolé ; ils se sont dévoués ; ils ont propagé leur foi ; ils ont redressé les esprits et soigné les âmes. Leur action incessante et discrète a fait tomber bien des préjugés. Il est peu probable qu’il y ait beaucoup d’anticléricaux militans parmi ceux qui reviendront des champs de bataille.

Et ainsi, de proche en proche, il se répand dans le pays un état d’esprit nouveau qui survivra certainement à la guerre, et