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marchands en gros est donc de 26 ou 27 millions, dont les jouets allemands représentent à peu près le tiers.

Ainsi se dissipe l’erreur où sont tombés plusieurs de nos confrères en imprimant que « l’immense majorité des jouets français étaient made in Germany. » Quoique l’Allemagne nous expédiât un tiers de nos jouets, — de tous les autres pays ensemble nous venaient 2 400 quintaux dont les raquettes et balles de tennis anglaises formaient une bonne part, — la France était parmi ses moindres cliens ; les manufacturiers allemands confectionnaient dix fois plus de jouets que les nôtres, c’est-à-dire pour 180 ou 200 millions de francs par an, dont la plus grande partie était exportée aux États-Unis, en Angleterre et dans les colonies britanniques ; l’Australie, à elle seule, leur en achetait autant que la France.

L’industrie des jeux et jouets comprend des branches multiples dont les plus puériles ne sont pas toujours celles qui s’adressent au jeune âge. « Les jeux des enfans ne sont pas jeux, disait Montaigne, et les faut juger en eux comme leurs plus sérieuses actions. » La cervelle d’un gamin qui mène ses soldats de bois à l’assaut d’un fort de carton, ou celle d’une fillette qui gronde sa poupée coupable de gourmandise, travaille plus sérieusement sans doute que la cervelle d’un adulte qui s’absorbe dans la réussite d’une patience ou se livre tout entier aux émotions du domino.

Non que je veuille témoigner peu d’estime pour ce jeu éminemment national, puisque toujours nos fabricans de l’Oise ont su interdire aux dominos étrangers l’accès du territoire français. Suivant la dimension, la matière, le travail plus ou moins soigné, il existe 180 sortes de dominos, depuis ceux de nacre à 70 francs la boite jusqu’à ceux de bois blanc à 1 fr. 75 la douzaine de boites, en gros, soit moins de 0 fr. 15 le jeu. Ils se fabriquent comme les dés, les jetons, les échecs et toute la tabletterie d’os, dans une région dont Méru-sur-Oise est le marché central et qui, depuis le commencement du XVIIe siècle, a traversé les révolutions en gardant sa prospérité et ses secrets transmis d’âge en âge parmi 3 ou 4 000 ouvriers.

Le fait est unique peut-être ; toutes les catégories du jouet ont été plus ou moins concurrencées par les bas prix d’outre-Rhin et, comme il faut des années pour fonder une industrie florissante, tandis qu’il suffit d’une courte période