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dès le matin, à se porter vers le palais. Les nouvelles de leur mouvement arrivaient continuellement, et l’entourage intime du Sultan se mit à insister auprès de lui pour qu’il prît une résolution de nature à calmer l’agitation et à prévenir une crise plus grave. Abdul Aziz finit par céder et, comme c’est contre Mahmoud Nédim pacha que se portait surtout le mécontentement populaire, le grand vizir fut destitué et Mehmed Ruchdi pacha Muterdjin fut nommé à sa place : il l’avait déjà occupée à plusieurs reprises et en dernier lieu en 1872-1873.

Simultanément, Midhat pacha, ennemi acharné de Mahmoud, reçut une place dans le ministère dont il devint l’âme, tandis que Hussein Avni pacha, le seraskier, en était le bras et un bras menaçant levé sur la tête du pauvre Abdul Aziz.

Pour le général Ignatieff, la chute de Mahmoud Nédim et la rentrée aux affaires de Midhat constituaient un échec. Notre position devenait très difficile, mais la situation générale ne l’était pas moins. Quoique, à la suite du changement du Ministère, il y ait eu une certaine détente dans l’état des âmes et des esprits, on était pourtant loin d’être rassuré. Le succès remporté si facilement par les softas et la population musulmane ne pouvait que les encourager à de nouvelles exigences et exalter leur fanatisme. Des preuves nombreuses de l’excitation croissante de ce fanatisme nous arrivaient continuellement. La plus éclatante et la plus grave a été l’affaire de l’assassinat à Salonique des consuls de France et d’Allemagne, MM. Moulin et Abbot. Une jeune fille bulgare d’une des villes de la Macédoine, enlevée par force et convertie à l’Islamisme, s’était sauvée de la maison de son ravisseur et, avec l’aide de quelques notables bulgares, et entre autres du consul d’Amérique M. Hadji Lazaro, fils d’un sujet russe, avait été amenée à Salonique dans la maison de ce dernier d’où on la fit disparaître. Une agitation énorme se produisit parmi les Musulmans. Des bandes armées, parmi lesquelles on voyait des Albanais aux figures les plus sinistres, recrutés parmi les prisonniers et les assassins, parcouraient les quartiers chrétiens en proférant des menaces de mort contre les « ghiaours. » Les autorités n’eurent rien de plus pressé que de faire arrêter des Chrétiens accusés d’avoir contribué à l’évasion de la jeune fille. Les consuls firent des représentations et MM. Moulin et Abbot se rendirent eux-mêmes auprès du vali pour réclamer. Ils le trouvèrent à la mosquée et