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prendre le thé chez la princesse Galitzine, j’y trouvai l’ambassadeur d’Autriche, comte Zichy, en train de faire part à la princesse et au général Ignatieff des nouvelles alarmantes qui lui étaient parvenues. Un complot, disait-il, était organisé parmi les Musulmans pour brûler et piller le quartier européen et en exterminer les habitans. Un grand incendie, allumé aux quatre coins de Péra, devait être le signal : toutes les armes du Bezesten bazar auraient été déjà vendues ; un marchand armurier autrichien, Nikositch, serait venu à l’ambassade déclarer qu’on avait presque vidé son magasin et qu’il avait été obligé de le fermer, tant la foule s’y pressait. En effet, un marchand du Bezesten, Arménien, sujet russe, nommé Jonope, était également venu nous prévenir que d’énormes achats d’armes y étaient faits par les Turcs et principalement par les softas.

Pendant que le comte Zichy racontait ce qu’il avait entendu, on vint me dire que notre archimandrite désirait me voir immédiatement. Sorti du salon, je trouvai dans la galerie qui le précède le P. Smaragde : un Grec de sa connaissance revenant de Scutari, ou lui-même peut-être, je ne m’en souviens plus, avait entendu des gens parler, à bord du bateau, du prochain pillage et massacre des chrétiens, auquel les Turcs se préparaient. Le coup aurait été décidé pour le surlendemain, un jeudi, et devait commencer par l’incendie. Je rentrai rapporter le fait au général Ignatieff, mais je voulus voir par moi-même quel aspect avait Stamboul et je m’y rendis à pied en compagnie du troisième drogman de l’ambassade, M. Argyropoulo.

Nous rencontrâmes sur le pont M. Onou, notre premier drogman : il revenait des eaux de Brousse, où il avait appris l’inquiétude qui régnait à Constantinople. L’aspect de Stamboul nous parut peu rassurant. Les rues étaient désertes, la plupart des magasins fermés. On rencontrait surtout des softas causant avec vivacité : beaucoup d’entre eux étaient armés, quelques-uns portaient même deux fusils. Il était évident que quelque chose se préparait. Les gens bien informés prétendaient que c’était un mouvement intérieur, nullement dirigé contre les chrétiens. Quoi qu’il en soit, les apparences étaient inquiétantes. Nous poussâmes jusqu’au bazar que l’on était en train de fermer. Il était presque vide, et l’Arménien cité plus haut, Jonope, nous dit que, ce jour-là, on avait vendu moins d’armes