Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parts, et dont on constatait des symptômes à Constantinople même, où le mécontentement contre le gouvernement grandissait.

Chaque jour arrivaient des nouvelles qui aggravaient la situation politique et rendaient celle du général Ignatieff de plus en plus difficile. L’ambassadeur faisait, selon son habitude, bonne mine à mauvais jeu, et affichait de l’assurance ; mais il reconnaissait parfaitement, à part lui, que toute l’œuvre de son influence, si péniblement échafaudée, croulait, et que sa politique, toute nationale, était sacrifiée par le Ministère à celle que recommandait Novikoff, qu’il croyait contraire aux vrais intérêts de notre patrie. Un après-midi que, selon l’habitude, l’ambassadeur et sa femme se trouvaient, à quatre heures, réunis pour le thé chez la mère de cette dernière, la princesse Galitzine, j’y vins également. C’était vers la mi-mars. La conversation tomba naturellement sur l’état des affaires et l’aveuglement du Ministère.

« Qu’auriez-vous fait à ma place ? » me demanda brusquement le général, qui venait d’exposer les difficultés presque inextricables de sa position.

— « Puisque vous le désirez, je vous le dirai franchement, répondis-je, quoique j’aurais dû être le dernier à vous donner un conseil. J’aurais demandé par télégraphe la permission de venir à Pétersbourg et j’y serais arrivé ayant dans ma poche ma démission et en mains un mémoire que j’aurais présenté à l’Empereur pour lui exposer ce que j’entends être l’intérêt de la Russie et la voie à suivre dans les conjonctures actuelles. Si mes idées étaient acceptées, je serais venu les appliquer sur place, ou, ce qui serait plus naturel, j’aurais été appelé à diriger la politique que j’avais recommandée et qui aurait prévalu sur celle du prince Gortchakof. Dans le cas contraire, j’aurais séance tenante donné ma démission du poste d’ambassadeur pour laissera d’autres le soin d’exécuter une politique que j’aurais signalée comme nuisible à la Russie. Et ne croyez pas, continuai-je, que, dans ce dernier cas, vous auriez été sacrifié à vos convictions. Au contraire, l’opinion publique russe est avec vous. Elle aurait applaudi à votre résolution, et si vous aviez été mis momentanément hors des affaires, vous seriez resté le candidat national pour le portefeuille des Affaires étrangères, qui ne vous aurait pas échappé. » L’ambassadeur