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entre l’Italie et la Turquie, en 1912 entre la Turquie et les États Balkaniques, ne devaient pas tarder à démontrer la poignante et anxieuse réalité.

Etrange conséquence de la politique suivie par l’Allemagne depuis la retraite de Bismarck et du « nouveau cours » adopté par Guillaume II, que l’Empire ait vu transporter l’axe et le pôle de son action au Maroc, sur les Balkans, à Constantinople, c’est-à-dire dans la Méditerranée, et qu’à cette heure décisive de son histoire, le Maroc, dont le prince de Bismarck s’était si allègrement désintéressé en 1880, et les Balkans, qu’il disait ne pas valoir les os d’un grenadier poméranien, soient devenus ses points de friction et d’attaque, les grandes causes et occasions pour lesquelles il s’arme contre la Triple-Entente ! C’est donc bien que l’Empire est sorti de son orbite, qu’il s’est laissé entraîner hors de sa voie et que la place qu’il réclame au soleil n’est pas la sienne.

L’Allemagne, en tout cas, a pris son parti. Elle va hâter fiévreusement l’achèvement de sa flotte, l’élévation de ses armées à un chiffre d’effectifs presque double en 1912-1913 de ce qu’il était en 1891[1]. Les lois militaires vont se succéder les unes aux autres de façon à donner à l’énorme machine de guerre le dernier degré de puissance et d’efficacité. Les temps de la crise approchent. Il n’y aura bientôt plus qu’une étape à franchir.


IX

De 1905 à 1914, l’Allemagne a été vraiment cuirassée, en casque, et cette période de dix années a été déjà pour elle comme une veillée des armes, bien qu’elle ait parfois, à la seconde Conférence de la Haye en 1909, ou dans ses vains et dilatoires pourparlers avec l’Angleterre sur la question du désarmement, cherché à donner encore l’illusion de-velléités pacifiques qu’elle avait cessé d’entretenir.

Elle a, contre la France, depuis 1905, contre la Russie et les Slaves depuis la révolution turque, l’annexion de la Bosnie-Herzégovine et l’agitation balkanique, un double levier, un double instrument de pression et de menace, C’est, d’une part,

  1. L’almanach de Gotha donne pour l’année 1891 un chiffre de 486 000 hommes sur le pied de paix. Ce chiffre s’élève, dans le budget de 1913, à 736 322 et devait dépasser 800 000 l’année suivante.