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Guillaume II, qui déjà n’avait pas caché sa hâte de régner, avait plus de hâte encore de gouverner. Il ne pouvait tolérer davantage la tutelle d’un mentor. Moins de deux ans après son avènement, sur le vain prétexte d’un dissentiment en matière de législation sociale, et parce que le prince-chancelier avait poursuivi avec le chef du Centre catholique des négociations ou entretiens que le souverain n’approuvait pas, l’Empereur, dans un accès de colère et d’emportement, avait congédié le ministre puissant qui, depuis 1862, avait fait la fortune du royaume et fondé l’Empire.

De cette journée du 17 mars 1890 date la politique nouvelle qui devait être celle de Guillaume II et que le recul de l’histoire, mais aussi le témoignage capital d’un des plus brillans collaborateurs, je veux dire le prince de Bülow, permettent d’apprécier dès aujourd’hui. Le livre du prince de Bülow, la Politique allemande, publié peu de temps avant la présente guerre, éclaire en effet d’une lumière directe et immédiate toute la politique, soit étrangère, soit intérieure, de l’Empire, et manifeste avec d’autant plus d’éclat la différence entre la période bismarckienne, de 1862 à 1890, et la période suivante que le prince de Bülow, après avoir été l’un des élèves et lieutenans du grand chancelier, s’est fait, dans sa politique d’abord, puis dans son livre, l’artisan, le consécrateur et l’avocat de la nouvelle ère.

La différence essentielle entre les deux périodes, — celle que marque avec netteté le prince de Bülow, — c’est que la politique de l’Empire, après avoir été jusqu’en 1890 une politique continentale, européenne, vouée à la consécration de la situation acquise, est devenue depuis lors une politique d’expansion à outrance et en tous sens, une politique maritime, coloniale, mondiale, aspirant non seulement à faire à l’Allemagne plus de place au soleil, mais peu à peu à lui conquérir toute la place, à multiplier et à absorber les débouchés, à supplanter toutes les concurrences, à faire de la race allemande, par l’organisation systématique de toutes les forces militaires, navales, économiques, la race élue et maîtresse à qui devait appartenir l’empire du monde.

Cette transformation, le prince de Bülow l’a bien vue, il l’a vantée, il s’y est associé, et il s’efforce, dans un des passages les plus curieux de son livre, d’abord d’excuser le prince