Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui fut l’ami intime de saint François. Et, dans son Esprit de saint François de Sales, Camus célèbre l’Astrée, « entre les romans et livres d’amour, l’un des plus honnestes et des plus chastes qui se voyent ; la mémoire m’en est douce comme l’épanchement d’un parfum… » Et nous sommes (j’avais raison) des pharisiens qui ne comprennent rien à l’âme d’il y a trois siècles à peine, notre âme d’hier, si nous distinguons rudement l’une de l’autre l’Astrée et 'l’Introduction à la vie dévote.

Saint François de Sales professe que chaque âme « est comme un grand royaume qui, pour se conserver, a ses lois et ses maximes différentes. » Et il a dit que l’inquiétude était « le plus grand mal qui arrive en l’âme, excepté le péché. » Guillaume du Vair, pareillement, condamne la tristesse, qu’il appelle « rouille et moisissure » de l’esprit, et qui fait mine d’être « pie et religieuse, » et qui n’est que « tromperie. » Saint François de Sales ne veut pas que le zèle religieux nous induise en l’excès du remords. Soyons marris de nos fautes ; mais n’allons pas jusqu’à « une déplaisance aigre et chagrine, despiteuse et cholère. » Il ne veut pas qu’à l’égard de nos âmes, si imparfaites et qui cherchent la perfection, nous agissions avec violence : « Mettez votre esprit en repos et tranquillité, faites rasseoir votre jugement et votre volonté, et [puis, tout bellement et doucement, pourchassez l’issue de votre désir, prenant par ordre les moyens qui seront convenables, je ne veux pas dire négligemment, mais sans empressement, trouble et inquiétude ; autrement, au lieu d’avoir l’effect de votre désir, vous garderez tout et vous embarras serez plus fort… » Montaigne aurait aimé ces lignes de saint François : il entendait lui-même se manier avec plus de douceur adroite que de sévérité revêche. Montaigne aurait aimé saint François, qui l’eut « repris. » mais non « d’une trongne trop impérieusement magistrale : » et c’est toute la condition que pose Montaigne à qui vient lui offrir quelque vérité ou réprimande.

Il y a plaisir à trouver en bonne intelligence Montaigne, les stoïques et platoniciens, Guillaume du Vair, saint François de Sales et Honoré d’Urfé. Leurs contrariétés, que nous n’omettons pas non plus, ont donné à notre littérature et à notre pensée française la plus agréable variété : leur facile réunion met de l’harmonie dans cette variété. Comme aucun d’eux n’a eu la « trongne magistrale, » les idées qui nous viennent d’eux se rassemblent aisément et ne nous font pas des âmes bouleversées. La continuité que, sans artifices, M. Joachim Merlant découvre dans la littérature morale qui va de