Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/211

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Queen Eiizabeth, à elle seule, mettant en jeu ses huit canons de 381 millimètres, qui portent à 18 kilomètres, était en mesure de réduire à merci Constantinople, les « Jeunes-Turcs » et leurs conseillers germains.

Cela était-il possible ? Certainement oui. A-t-on eu tort de ne s’y point résoudre, — car ce n’est pas cela qu’on a voulu faire, comme nous allons le voir ? A-t-on eu tort de ne pas jouer cette grosse partie où les chances favorables ne l’emportaient que de peu sur les chances contraires ? Qui oserait l’affirmer ? Point d’autres que les Allemands eux-mêmes, qui, avec leur mentalité témérairement offensive et leur tactique de « risque tout, » eussent peut-être tenté ce coup de fortune…

Mais, enfin ce n’était pas cela que l’amiral de Robeck voulait faire, ou qu’il avait la mission de faire. Du moins semble-t-il bien, quand on étudie de près l’opération du 18 mars, étroitement liée à celles qui l’avaient précédée depuis le 19 février, que l’on poursuivait la destruction successive et méthodique, par la seule artillerie des cuirassés, par le bombardement, des ouvrages échelonnés sur les deux rives du détroit sur une longueur d’une douzaine de kilomètres, ceux de la pointe d’Europe et de la pointe d’Asie (Seddul Bahr et Koumkalessi) étant mis à part, bien entendu.

Pour une opération de ce genre et dans les conditions où elle se présentait, point de précédens, ou de peu décisifs, à invoquer. Rien ne ressemblait moins aux Dardanelles que la passe du Könge dyb, où, le 2 avril 1801, Nelson engageait si résolument ses douze vaisseaux, ses bombardes et ses brûlots. Point de torpilles, point de batteries de côte, au moins à l’endroit où se déroula le fort de l’action ; des vaisseaux rasés, seulement, bien armés, certes, mais immobiles et que l’on pouvait incendier. Et cependant, à quoi tint le succès de cet acharné combat de Copenhague ? Un peu plus de fermeté de la part du gouvernement danois, et Nelson, obligé par les vents du Sud à continuer sa route vers le débouché Nord du Könge dyb, essuyait avec des navires avariés et affaiblis les feux redoutables du grand fort de Tree-Krönen.

Dans la rivière Min, au mois d’août 1884, les circonstances géographiques, le décor, si l’on veut, se rapprochent singulièrement de ce que l’on voit dans les Dardanelles. Deux passes étroites et coudées, Mingan et Kimpaï, s’encadrent de collines