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les Sabins, sur Tullus Hostilius et les Albains, recouvrent certainement quelque chose d’historique. Peu importe le vrai caractère de ces incorporations, peu en importe le motif : elles ont eu à coup sûr pour résultat d’habituer les esprits, de très bonne heure, à cette idée qu’il peut se créer un lien moral et social entre ceux mêmes que la naissance avait séparés, que tels, comme on le dira plus tard (justement à propos de Romulus), « étaient ennemis le matin qui le soir furent compatriotes. » — Enfin et surtout le culte de Rome, composite comme sa population et plus encore, la met en rapports avec des peuples très divers, les uns voisins, les autres fort éloignés. Elle a des rites latins, sabins, étrusques, grecs, asiatiques même. La parenté religieuse, la plus respectable de toutes alors, l’établit en communion avec la plupart des peuplades italiennes, et, en dehors de la péninsule, avec Ségeste, avec l’Arcadie, avec Samothrace, avec Troie. Fustel de Coulanges a signalé avec raison l’avantage que ces affinités de culte offraient à Rome, et le parti qu’elle en a tiré : mais, d’avoir les mêmes dieux et les mêmes rites que telle ou telle autre cité ne lui créait pas seulement plus de droits ; cela lui imposait aussi plus de devoirs. Le Romain qui prie et sacrifie selon les mêmes lois qu’un Sabin ou qu’un Grec, se sent confusément frère de ce Grec ou de ce Sabin. L’horizon de ses idées et de ses sentimens s’élargit quelque peu. Il admet qu’il puisse y avoir des alliances supérieures aux groupemens domestiques ou locaux, que d’autres hommes, loin de lui, puissent penser comme lui et compter autant que lui au regard des Dieux Immortels. Cela peut être de haute importance. Entre les peuples comme entre les individus, et dans la plus lointaine antiquité comme dans notre moyen âge, c’est de la fraternité religieuse qu’est née la fraternité humaine.

Ainsi, tandis que les conditions habituelles de la vie primitive enserrent toute l’activité intellectuelle du Romain dans le cercle restreint de sa petite ville, d’autres forces l’attirent hors de ces barrières. Les relations commerciales, les assimilations de peuples limitrophes, et plus encore les analogies religieuses, lui font apparaître comme possibles des rapprochemens avec ceux qui ne vivent pas dans ses murs. C’est bien peu de chose encore, pas assez pour ébranler, tant s’en faut, la notion archaïque de la cité jalousement close, hérissée de prohibitions et de défiances. Pourtant il sied de relever ces indices, si faibles