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d’ailleurs trop enclins à résoudre par l’absurde les problèmes les moins compliqués. Mais les notes fidèles du reporter expliquent les sous-entendus ou comblent les lacunes des communiqués officiels. Elles ne sont certes pas des pages définitives d’histoire, mais elles dessinent une trame que les critiques et les annalistes rempliront sans doute avec la version ne varietur des événemens.

Le 3 octobre, après quinze jours de lutte intense, les Allemands ont fait craquer la ceinture des forts dans le secteur Lierre-Waelhem. Ils ont franchi la Nèthe, et le moment semble venu, pour le gouvernement et l’armée, de se dégager et d’abandonner la place à son inévitable sort. Différer plus longtemps, laisser encore la population dans l’espoir d’une lutte victorieuse, c’est fermer aux civils et aux militaires la voie libre d’Ostende, en risquant la capture avec la chute imminente de la place, ou l’internement sur le territoire hollandais. Le Roi, les ministres, les chefs de l’armée sont donc résolus à l’exode. Les diplomates étrangers sont prévenus ; ils font leurs malles et brûlent leurs papiers superflus. Mais, le lendemain, coup de théâtre. On ne part plus, et la confiance apparaît sur les visages jusqu’alors soucieux des personnages officiels. C’est M. Winston Churchill qui l’apporta. Le ministre de la Marine anglais est arrivé ; il précède un fort contingent de troupes aguerries que le Royaume-Uni envoie au secours d’Anvers, et qui changera le cours des événemens. Powell parait en douter : « Ce fut, dit-il, une entrée des plus dramatiques. Elle me rappelle irrésistiblement la scène de mélodrame où le héros surgit, nu-tête, sur un cheval blanc d’écume, et sauve l’héroïne, ou le foyer ancestral, ou la fortune de la famille, selon les cas… » Mais si le reporter est sceptique, le ministre est plein de foi : « Je crois, monsieur le bourgmestre, répondit-il tout en courant et d’une voix qui résonna jusqu’au fond du vestibule, que tout ira bien désormais. Ne vous tracassez pas ! Nous allons sauver Anvers ! »

Hélas ! ce n’étaient pas les 2 000 hommes de la brigade de marine, renforcés par 5 ou 6 000 volontaires de la réserve navale qui pouvaient sauver Anvers. Ils firent de leur mieux, et le correspondant du New York World rend un hommage ému à leur héroïque bravoure. D’ailleurs, le « cousin Jonathan, » mis en éveil par le verbe sonore du ministre anglais, semble se plaire avec malice à comparer les promesses et les moyens.