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tenir compte. C’est peut-être pour les avoir négligés que les Belges virent échouer leurs efforts. Malgré leur entrain et leur savante préparation de l’attaque décisive, ces facteurs secondaires agirent contre eux et changèrent le sens du résultat escompté.

Au lieu d’un ennemi démoralisé, réduit au silence dans le secteur choisi pour l’assaut, ce furent une artillerie puissante, des mitrailleuses innombrables qui accueillirent les troupes royales et brisèrent leur élan : « J’ai assisté à des combats sur quatre continens différens, écrit Powell, mais je n’ai jamais vu un feu aussi homicide que celui qui effaça la tête de colonne belge comme une éponge oblitère les chiffres tracés sur une ardoise… » Puis le tir s’allongea pour atteindre l’assaillant dans les haltes successives de son repli, tandis que l’infanterie allemande fonçait en masse, progressait avec rapidité, ne laissait pas à l’adversaire le temps de se ressaisir. Dans ce pays sans reliefs, aucun obstacle naturel, à défaut d’ouvrages de campagne, ne permettait aux Belges de s’accrocher au terrain, et de préparer à l’abri un retour offensif. La bataille qui déterminait le sort éventuel d’Anvers était perdue pour eux.

Ce n’est pas seulement autour de Weerde que les tenans de la contre-attaque, les théoriciens de la défensive-offensive trouveront dans cette guerre la preuve de leurs argumens bien connus depuis le TransvaaI. Les premières rencontres de la campagne de France, avant même la bataille de l’Aisne, furent machinées de la même manière par les Allemands. Terrés dans les accidens du sol qu’ils utilisaient et fortifiaient à merveille, rendus invisibles jusqu’aux moyennes distances par leurs uniformes gris, ils nous laissaient évoluer en marches d’approche où nos tenues archaïques leur livraient de loin, par les taches sombres qu’elles dessinaient sur les champs et sur les prés, le chiffre de nos forces et le secret de nos dispositifs. Prévenus par leurs Tauben, ils nous guettaient comme à l’affût, tous points de passage bien repérés sur leurs carnets de tir, tandis que nous avancions dans le vague, ne sachant guère de l’ennemi que son contour apparent.

A nos canonnades sans buts précis ils ripostaient en temps utile par une tempête de balles innombrables et sûres qui arrêtaient l’élan, tandis qu’un arrosage préventif de shrapnells sur les zones en arrière ou latérales compromettait l’exécution d’une manœuvre alors trop tardive, ou gênait la marche en avant