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accueillit son retour et la distribution gratuite de ses provisions fut, pour le bon colonel, une récompense de qualité rare : « Quoi ! diront les sages, un colonel se risquer ainsi pour du tabac ! Quelle faute blâmable ! » Je concède que, en principe, les sages parlent bien. Mais les sages ne comprennent rien aux sentimens généreux, ni aux gestes élégans. Et, mieux que toutes les harangues, l’ « imprudence » du colonel inspira au régiment la passion du sacrifice et le culte de son chef.


III

Comme un fleuve débordé, l’invasion allemande s’étendait rapidement sur les provinces occidentales de la Belgique, et Powell en avait observé tout à son aise les effets destructeurs. Cependant, l’armée belge, concentrée dans le camp retranché d’Anvers, guettait le moment favorable pour établir une digue contre l’inondation. A la fin du mois d’août, la poussée vers le Sud semble aspirer, derrière Kluck et Bülow, la majeure partie des contingens qui occupaient les Flandres. Après les exemples d’Aerschot et de Louvain, les Allemands pouvaient croire que la terreur suffirait à contenir le pays, mieux que de copieuses garnisons. Ils comptaient sans les impétueuses troupes du roi Albert. C’est leur duel avec leur puissant adversaire que Powell analyse en termes imagés : « On eût dit un terrier fonçant sur un bouledogue. »

L’organisation matérielle de l’armée belge était alors, comme aujourd’hui, tout à fait digne d’éloges. La cavalerie était admirablement montée ; l’artillerie était du plus récent modèle, et ses attelages étaient excellens ; les services de ravitaillement et de transport n’employaient que des automobiles fort bien aménagés ; enfin de nombreuses mitrailleuses blindées, sur des châssis à moteur, servies par des conducteurs, adroits et braves, qui accomplissaient audacieusement des tours de force, compensaient ce que l’armement de l’infanterie et l’habillement de toutes les troupes avaient de défectueux. L’armée était en effet vêtue de costumes pittoresques, mais terriblement voyans. Les couleurs de l’arc-en-ciel distinguaient les uniformes qui faisaient de jolies taches dans le paysage, mais fournissaient aux ennemis des objectifs visibles à souhait. Malgré cela, fantassins, cavaliers, artilleurs, gendarmes même,