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Il me raconta une histoire sur le thème prévu de la panne de moteur et de l’erreur géographique dont il avait été victime dès le matin. Qu’elle fût vraie ou non, il avait eu le sang-froid de rester caché avec son appareil, sans doute depuis l’aurore, — nul aéroplane ennemi n’avait été vu ce jour-là sur la région, — à 400 mètres à peine d’une route sur laquelle défilait tout un corps d’armée en retraite. Son carnet d’observations bien garni, la nuit approchant et sa mission terminée, il prenait son vol sous le nez d’un poste dont il n’avait pas soupçonné la proximité ou la vigilance. Une balle dans le réservoir d’essence avait mis fin à cette audacieuse équipée. Grâce à un automobile militaire qui errait sur un mauvais chemin, je pus diriger vers l’un de nos lointains états-majors le capitaine prisonnier, après lui avoir témoigné les égards dus à sa vaillance. Et je remerciai le Seigneur qui privait ainsi le Kronprinz impérial d’une foule de renseignemens écrits et verbaux trop intéressans.

Tandis que l’armée belge se préparait à défendre Anvers, Alexander Powell ne restait pas inactif. Le moment ne lui semblait pas encore venu de s’enfermer dans la ville et d’y attendre le premier acte d’un siège que l’intervention prématurée des zeppelins faisait déjà prévoir dramatique et sanglant. Il voulait parcourir en reporter la Belgique envahie, pour observer d’après nature la conquête et l’administration allemandes dont la rumeur publique dénonçait déjà les excès. Peut-être supposait-il, après tout, que les victimes de la première incursion des dirigeables sur Anvers avaient dû leur mort à l’un de ces hasards funestes qui protègent les militaires aux dépens des non-combattans ; « l’armée la plus disciplinée du monde » ne pouvait se conduire comme une horde sans frein de reitres brutaux, et tous ses crimes n’étaient imputables qu’à des calomnies intéressées. Il y avait bien, au moins, une histoire de Bruxellois affamés pour le ravitaillement desquels le ministre des Etats-Unis était obligé d’agir vite et de parler haut. Mais, dans le doute, il valait mieux aller y voir.

Les grands chefs allemands avaient promis une exécution sommaire, comme espion, à tout journaliste égaré dans leurs lignes. Powell, qui les soupçonne fort de n’être pas gens à se contenter de vaines menaces, juge donc préférable de se muer à son tour en courrier de cabinet. Un ami l’accompagne ; et l’auto bourré de paquets de cigarettes, orné de deux immenses