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combat de cavalerie ; des excentriques comme ce Thomson qui, toujours chassé, revenait toujours, sans doute grâce moins à ses qualités de polyglotte parlant trois langues : « l’anglais, l’américain et le yankee, » qu’à son imperturbable sang-froid ; des enthousiastes qui s’offraient comme courriers à travers des régions dangereuses, et qui parfois portaient, sans le savoir, de simples feuilles blanches dans des enveloppes scellées de nombreux cachets. Dès les premiers jours, tout ce monde s’agitait, bourdonnait autour des états-majors, se révélant indiscret et encombrant. « Finalement, la question se réduisit à ce dilemme : qui, de la légion des correspondans de guerre ou de la légion des soldats, céderait la place à l’autre ? Il n’y avait pas assez d’espace pour toutes deux. Il fut décidé de donner la préférence aux soldats. » Comment, malgré toutes les consignes et toutes les expulsions, Powell réussit-il à se maintenir en Belgique, à rayonner autour d’Anvers dans un confortable automobile, à tout voir et presque tout entendre, à posséder le laissez-passer et le mot qui, sur les lignes, apaisent les sentinelles et rendent obligeans les officiers ? Sans doute, il est « citoyen américain, » c’est-à-dire qu’il appartient à une nation chatouilleuse, forte, et dont les belligérans se disputent les bonnes grâces ; il a de copieuses lettres de crédit, des recommandations imposantes, de l’audace et le patronage d’un puissant journal. Mais cela ne suffirait pas. Il en convient, et il glisse légèrement sur « la chance spéciale » qui le favorisa. Imitons sa réserve, et bénissons le sort qui fit de ce publiciste neutre un témoin bien renseigné.

Les circonstances ne tardent pas à réagir sur sa mentalité. Déjà, le spectacle d’Anvers, où il a pénétré dès les premiers jours de la guerre, lui inspire une vive admiration pour ces Belges prêts à tous les sacrifices. Il a vu les merveilleux faubourgs nivelés, leurs parcs et leurs jardins rasés, les arbres centenaires des routes abattus. Des ruines matérielles pour plus de 400 millions sont acceptées sans murmure, parce qu’elles dégagent maintenant une zone de 40 kilomètres de long sur 4 de large où « un lapereau ne pourrait passer sans être découvert. » San Francisco après le tremblement de terre, Salem après l’inondation, donnaient à peine l’idée de tels ravages. Les Belges se sentent enfin entre soi. La colonie allemande était expulsée et, après son départ, leurs hôtes confians découvrent