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et l’Autriche seules. Est-ce pour mieux se rendre compte des avantages qu’elle pourrait trouver ici ou là et les mettre en balance avant de choisir ? Est-ce qu’elle désespère dès ce moment de s’entendre avec ses alliés d’hier, mais que cependant elle ne veuille pas rompre avec eux avant de savoir ce qu’elle pourra obtenir ailleurs ? L’âme italienne est subtile et profonde : qui oserait prétendre la pénétrer ? Nous avons été et nous restons toutefois sceptique, incrédule même, sur le succès des négociations de M. de Bülow. Qu’il ait été autorisé à offrir à l’Italie le Trentin, c’est, à la grande rigueur. possible ; mais, même dans un temps où on voit mille choses extraordinaires, où les plus vieilles traditions sont tout d’un coup renversées, où les plus grands pays renoncent à leur politique séculaire pour en adopter une autre qui en est l’opposé, nous ne croirons à l’abandon bénévole à l’Italie de Trieste, de l’Istrie, de la Dalmatie que lorsque nous le verrons de nos yeux. Trieste n’intéresse pas seulement l’Autriche-Hongrie : le monde germanique y voit le seul port qu’elle ait sur la Méditerranée, et l’Allemagne ne consentira pas plus que l’Autriche à céder ce port à l’Italie. Si par impossible elle le faisait sous le coup d’une nécessité inexorable, ce ne serait pas de bonne foi, mais bien avec l’arrière-pensée de reprendre un jour prochain un point auquel elle ne renoncera jamais sincèrement. Il est impossible que l’Italie se fasse à cet égard la moindre illusion. Pourtant ses journaux ne parlent que de Trieste et de la rive orientale de l’Adriatique : c’est là, disent-ils, que sont les aspirations actuelles de l’Italie, c’est là qu’est son avenir. Sans doute et si nous étions Italien, nous ne penserions pas autrement. Mais alors, il faut renoncer à s’entendre avec l’Allemagne et l’Autriche sur de pareilles bases. L’a-t-on fait, bien qu’on ne le dise pas encore ? Nous serions porté à le croire quand nous lisons dans les journaux italiens les articles passionnés qu’ils consacrent à la question de savoir, non seulement quel sera le lot de l’Italie, mais quel sera celui de la Serbie sur la côte adriatique. Naturellement, l’Italie revendique pour elle le plus gros, et c’est un droit que nous ne lui contestons pas ; mais se préoccuperait-elle de la Serbie et se montrerait-elle disposée à lui concéder la moindre part si elle croyait à la victoire de l’Allemagne et de l’Autriche, à la suite de laquelle la Serbie annihilée disparaîtrait de la carte de l’Europe ? S’il y a des négociations au sujet de la Serbie, et assurément il y en a, elles ne peuvent avoir lieu qu’avec les Alliés, c’est-à-dire avec l’Angleterre, la France et la Russie. Elles seules en effet, tout en faisant à la Serbie sa part légitime, peuvent attribuer