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d’après lequel cette dernière s’est engagée à ne pas céder certains territoires à la Bulgarie sans le consentement de la première. Ce consentement, M. Venizelos était d’avis de le donner. L’impression générale qui se dégage de ces explications est qu’il est un homme à larges vues, sachant voir en toutes choses le point essentiel, n’hésitant pas à transiger sur les autres, si on lui assure un avantage compensateur et plus que compensateur, enfin loyalement désireux de mettre les intérêts de son pays d’accord avec ceux de l’Europe et de la paix. Il s’en faut de beaucoup que ses aveux aient diminué l’opinion qu’on avait de son intelligence et de son caractère. Mais ici intervient dans l’affaire un élément nouveau. Des concessions qu’il voulait faire, des transactions qu’il était disposé à signer, on a fait un grief à M. Venizelos, et une note officieuse a fait entendre que là était l’origine du désaccord qui s’est produit entre le Roi et lui : à quoi M. Venizelos a répondu que le Roi avait connu et approuvé cette politique et, comme on continuait à le mettre en doute, il a écrit une lettre au Roi pour invoquer son témoignage. Ce n’est pas le Roi qui a répondu ; il s’est enfermé dans ses devoirs constitutionnels, et le ministère a fait savoir à M. Venizelos que, sans que sa bonne foi pût être mise en cause, il y avait eu méprise de sa part : le Roi n’avait jamais approuvé une cession territoriale. La méprise est bien extraordinaire, qu’elle se soit produite du côté du Roi ou de celui du ministre, mais il aurait été dangereux d’y insister. M. Venizelos a senti que cette sorte de duel ne pouvait pas continuer sans que les intérêts de la Grèce y fussent compromis : il a annoncé qu’il se retirait de la vie politique et ne se présenterait pas aux élections prochaines. Tous les efforts de ses amis n’ont pas ébranlé sa volonté. M. Venizelos se retire, au moins pour un temps, de l’arène politique, en quoi il fait acte, non plus seulement d’homme d’État, mais de bon citoyen : et ce n’est pas le moindre service qu’il ait rendu à son pays.

Ce n’est pourtant pas directement sur cette question des cessions territoriales éventuelles que M. Venizelos est tombé : elle a préparé sa chute, elle y a contribué, elle n’en a pas été l’occasion immédiate. M. Venizelos voulait envoyer une poignée d’hommes représenter la Grèce auprès des alliés dans l’expédition des Dardanelles : le Roi s’y est opposé et M. Venizelos a disparu. La raison qu’en a donnée le Roi, — est-ce vraiment la principale ? — est que l’attitude de la Bulgarie était encore trop obscure pour qu’il fût prudent de détacher une fraction, si minime qu’elle fût, de l’armée