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s’engager avec nous dans l’affaire des Dardanelles et de Constantinople, mais il ne resterait pas indifférent à une agression contre la Serbie.

Quant à notre entreprise sur les Dardanelles, on commence à avoir des renseignemens, sinon sur les vrais motifs qui ont empêché la Grèce de s’y associer, au moins sur la manière dont les choses se sont passées et sur les circonstances qui ont accompagné la démission imprévue de M. Venizelos. En effet, M. Venizelos a parlé et, quoi qu’il affirme aujourd’hui son intention de se retirer de la vie politique, le moment viendra certainement où il parlera encore, car, comme il le dit lui-même, il « aime trop la lutte pour y renoncer à jamais. » Pour le moment, il se tait et il a raison ; les circonstances sont trop délicates pour qu’on n’y apporte pas de grands ménagemens ; mais l’avenir lui reste et il ne renoncera pas aux nouvelles méthodes politiques qu’il a inaugurées en Grèce. A la différence de ceux qui croient, suivant un vieux mot, que la politique est ce qu’on ne dit pas, il pense qu’il faut tout dire, qu’il faut parler, et que c’est dans ces conditions seulement que se fait l’éducation morale d’un peuple. On sait quelles étaient avant lui les mœurs politiques de la Grèce. Les ministres pratiquaient entre eux ce qu’on a appelé le système rotatif, c’est-à-dire qu’ils se succédaient et se remplaçaient au pouvoir, en vertu du principe que chacun devait avoir son tour. Évidemment ce système est peu favorable à la constitution de partis politiques solidement établis. M. Venizelos n’est pas et ne pouvait pas être un simple pion dans ce petit jeu d’échecs. La situation était trop grave, quand il est venu de Crète en Grèce, pour qu’il se prêtât à des combinaisons qui peuvent suffire aux époques tranquilles et paisibles, mais non pas aux jours de tempête. M. Venizelos a voulu être un ministre dans la grande et haute acception du mot : il avait des idées, un programme à appliquer, un but à poursuivre et à atteindre, un idéal à réaliser. Aussi lorsqu’il a été arrêté en pleine activité et obligé de donner sa démission, n’a-t-ou pas trouvé en lui un de ces ministres qui s’enferment dans le silence, sachant bien qu’au bout de quelques mois, ou tout au plus de quelques années, la carrière se rouvrira pour lui. On a vu alors un phénomène nouveau en Grèce M. Venizelos a parlé, il s’est adressé au pays pour le prendre à témoin de ce qu’il avait voulu faire. Nous aimons mieux ce caractère que celui des politiciens qui conspirent dans les coulisses et mettent leur confiance dans l’intrigue ; mais tout ce qui est inaccoutumé étonne, scandalise même quelquefois, et ceux qui avaient renversé ou remplacé M. Venizelos ont éprouvé quelque chose de ce double