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villes, massacrer les innocens, achever les blessés, et organiseront la « cruauté disciplinée. » Tout cela est écrit en caractères nettement lisibles dans ce livre d’un bon Français que sa tristesse patriotique rendait clairvoyant. Mais nous ne savions, ou nous ne voulions pas comprendre. Nous nous étions habitués à ne chercher dans la littérature qu’un divertissement. Quand elle nous avait procuré une heure de plaisir, fût-ce du plaisir mélancolique qui consiste à remuer les douleurs anciennes, nous la tenions quitte et nous n’étions guère disposés à y chercher en outre un enseignement qui nous eût gâté ce plaisir.

Il faut pourtant être justes, je veux dire qu’il faut rendre justice à ceux de nos écrivains qui ont été pour nous de bons guides. Les savans qui avaient mission de nous renseigner sur la science allemande, sur l’histoire allemande, sur la philosophie allemande, n’ont pas tous rempli leur tâche avec toute la vigilance souhaitable. Beaucoup d’entre eux ont attendu que le danger eût éclaté pour le découvrir. Il est vrai que, depuis, ils le découvrent sans relâche. Celui-ci n’est pas un homme de science, c’est un romancier et d’aucuns diront : ce n’est qu’un romancier. C’est lui pourtant qui nous a apporté sur la mentalité de nos irréconciliables ennemis l’un des témoignages les plus pénétrans. Et ce n’est pas le seul service que son œuvre ait rendu à la cause française. Trop souvent nos romans, nos pièces de théâtre nous ont desservi auprès de l’étranger. A la façon dont nos mœurs y étaient décrites, — ou travesties, — cette idée se répandait que la France était un pays fini, une société en décadence et en décomposition, prête à s’effondrer à la première secousse. Vainement nous efforcions-nous de protester que ces tableaux étaient mensongers et propageaient de la France une fausse image. Le critique était seul à réclamer : les lecteurs insoucians pardonnaient à l’auteur de les calomnier, pourvu qu’il les amusât. M. René Bazin n’a consenti à peindre qu’une France saine, honnête, généreuse, éprise d’idéal, parce qu’il croyait fermement que telle était réellement la France. Il mettait en scène de modestes héros, gens du peuple ou de la campagne : il contait des vertus provinciales ou paysannes. On l’accusait d’optimisme, et peut-être soupçonnait-on son art d’être conventionnel, Or c’était lui qui avait raison, qui voyait juste et qui « faisait vrai : » nous en avons sous les yeux la preuve la plus irréfutable. Une France corrompue ou malade n’aurait pas donné le spectacle magnifique auquel nous assistons depuis le début de la guerre. L’épreuve a révélé qu’elle avait conservé toute son énergie intacte, le même esprit