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l’opinion que nous ne pourrions que nous réjouir si la France s’adjugeait le Maroc. Elle aurait beaucoup à faire de ce côté et.nous pourrions lui concéder cette extension de son territoire en Afrique à titre de compensation pour l’Alsace-Lorraine. Mais à ma question si je devais tenir ce langage à Freycinet, il me répondit que non. C’était trop s’avancer. »

Il ne prévoyait pas alors que, dix ans plus tard, alors qu’il n’occupait plus le pouvoir, l’empereur Guillaume II regretterait que l’Allemagne, faute d’une flotte de guerre, eût laissé la France se constituer un immense empire colonial et s’appliquerait, pour atteindre le même but, à créer et à développer, au prix du plus vigoureux effort, la puissance maritime de son empire. Il est d’ailleurs certain que si, à cette époque, Bismarck eût encore gouverné l’Allemagne, il se fût rallié à l’opinion de son nouveau maître. On en trouve la preuve dans l’assentiment que peu de temps avant sa chute, il donnait à la politique d’expansion coloniale. Mais, à la date où nous le voyons exprimer une opinion contraire, son regard n’embrassait pas l’avenir de son pays tel que nous le voyons se dérouler.

Du reste, ce n’est pas seulement la situation de l’Europe qui, au déclin insoupçonné de sa puissance, lui cause d’amers soucis. Il lui en vient d’autres de la cour de Berlin où la famille impériale lui est de plus en plus hostile. Il peut compter encore sur la confiance du vieil empereur qui, bien que s’impatientant parfois de l’ascendant que le chancelier a pris sur lui, est maintenant trop affaibli par l’âge pour s’y dérober. En eût-il la force, il n’oserait renvoyer l’homme d’Etat auquel il doit l’empire et dont la popularité en Allemagne est aussi grande que la sienne. Mais, autour de lui, le chancelier n’inspire ni la même gratitude, ni la même confiance. L’impératrice Augusta combat par tous les moyens l’influence que Bismarck exerce sur son mari. Le prince impérial s’attriste et s’irrite de l’audace de cet homme dans lequel, au dire de la princesse Victoria, « il y a l’étoffe d’un Cromwell. » Le chancelier n’ignore rien de la coalition qui s’est formée contre lui dans l’entourage de l’Empereur et, pour se défendre, il usera de toutes les armes, même des plus déloyales.

Il n’y a pas lieu de raconter ici à quels moyens il recourut pour se donner un allié puissant en vue de la lutte qu’il avait à soutenir contre les membres de la famille impériale qui le