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Quelques mois plus tard, on le verra s’étonner et s’indigner qu’on lui imputât d’avoir voulu faire la guerre à la France, et peut-être, en effet, comme le disait Decazes, avait-il moins voulu la lui déclarer que lui faire croire qu’il la voulait. Si tel a été son but, il a oublié qu’il est des cas où la feinte peut créer les mêmes périls que l’intention. Il rejettera sur la Russie et surtout sur le prince Orloff et sur Gontaut la responsabilité de l’événement. Il reprochera à la Russie d’avoir voulu se tailler, aux dépens de Berlin, une réputation de Puissance pacificatrice : « Orloff n’a cherché qu’à flatter Gortchakoff en faisant l’aimable auprès de lui. Quant à Gontaut, il s’est laissé égarer par la Cour. »

On voit apparaître ici le grand grief de Bismarck contre l’ambassadeur de France, grief qui devait bientôt se traduire par une demande de rappel, sous prétexte qu’il lui était impossible d’entretenir avec un diplomate légitimiste et ultramontain les mêmes bonnes relations qui existaient à Paris entre le duc Decazes et le prince de Hohenlohe, prétexte singulièrement misérable. Envoyé à Berlin par le président Thiers en même temps que le duc de Broglie à Londres, le marquis d’Harcourt à Vienne, le marquis de Vogué à Constantinople et le général Le Flô à Saint-Pétersbourg, le comte de Gontaut n’avait jamais fait montre à la cour d’Allemagne de ses opinions politiques ? La correspondance, avec le chef d’Etat de qui il tenait ses pouvoirs, nous fournit la preuve du loyal désintéressement qu’il avait toujours apporté dans l’exercice de ses fonctions. En réalité, ce que le chancelier ne lui pardonnait pas, c’était d’avoir trouvé dans la famille impériale les plus vives sympathies et de les utiliser pour le succès de sa mission. Peut-être aussi devinait-il que l’ambassadeur était d’avis qu’avec un homme tel que lui, « toujours plus ou moins à la merci de ses nerfs et dont on ne pouvait jamais pénétrer sûrement les desseins, » il était impossible de se livrer à une sécurité absolue.

Il est remarquable que lui-même n’allait pas tarder à justifier cette opinion. Dès le lendemain de la crise, et alors qu’on pouvait croire qu’il changerait d’allure dans ses rapports avec la France, il soulevait de nouvelles difficultés. Ce fut d’abord, comme nous venons de le rappeler, la démarche qu’il fit faire à Paris par son ambassadeur, afin d’obtenir une modification dans le personnel de l’ambassade de France à Berlin. Non