Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 26.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans ce langage, l’ambassadeur à qui il s’adressait, et son gouvernement, ne pouvaient que voir une menace. Du reste, à ce moment, la menace était partout, et quoique, à Paris, les relations du ministre des Affaires étrangères avec l’ambassadeur d’Allemagne fussent courtoises, elles donnaient lieu à des discussions qui, malgré leur forme cordiale, empruntaient parfois aux circonstances un caractère tragique. C’est au cours de l’une d’elles que le ministre français, après avoir démontré à son interlocuteur que la France n’excédait pas son droit en s’appliquant à organiser ses moyens de défense et que sa politique ne présentait rien que l’Allemagne pût considérer comme une provocation, protestait « durement » contre l’obstination avec laquelle on lui prêtait des pensées belliqueuses. Se laissant emporter par l’indignation, il s’était écrié :

— Non seulement nous ne vous attaquerons pas ; mais, si vous nous attaquiez, nous vous laisserions tout l’odieux de l’attaque et nous ne nous défendrions pas. Si vous nous envahissez, je conseillerai au maréchal de se retirer avec son gouvernement et ses armées sur la Loire et d’attendre, sans tirer un coup de canon, que la justice de l’Europe ou celle de Dieu se prononce sur vous.

Quelques instans après, recevant le prince Orloff, le ministre lui tenait le même langage :

— Vous ne ferez pas cela, objectait tout ému l’ambassadeur de Russie.

— Nous le ferons, c’est décidé, et l’Europe verra tranquillement, l’arme au bras, la France envahie, dévastée, et ne se défendant pas. Oui, elle verra cela. Le tolérera-t-elle ?

Un autre jour, on répétait au duc Decazes ces paroles dites par le prince de Hohenlohe à des personnes de son intimité :

— Je ne veux pas être ici au moment de la rupture. Quand j’annoncerai que je pars, vous saurez ce que cela signifie.

On peut donc comprendre combien fut vif son émoi lorsque, peu de jours après, l’ambassadeur vint lui annoncer qu’il allait prendre un congé. Il ajoutait, il est vrai, « qu’il reviendrait dans quelques jours. » Mais après ce qu’il avait dit à ses amis, pouvait-on croire à cette promesse ? Cependant, il ne partit pas. A l’heure fixée pour son départ, il se présentait de nouveau au cabinet du ministre. D’un ton grave et attristé, il lui lançait ce trait :