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intermédiaires, affirmait que les marchés étaient déjà conclus, et prenait ses mesures pour en empêcher l’exécution, en même temps qu’il demandait à Paris des explications sur ces achats. Comme les rumeurs propagées à cet égard étaient inexactes, l’affaire n’eut pas de suites. Mais les soupçons du chancelier démontraient une fois de plus que tous les moyens lui étaient bons pour entraver le relèvement de la France et l’empêcher de redevenir une puissance militaire. Il est vrai que si, l’année précédente, il paraissait convaincu que la France républicaine ne trouverait pas d’alliés, il commençait maintenant à penser le contraire. C’est alors qu’il disait à Hohenlohe :

— L’alliance Autriche-Italie-France n’est pas à craindre. Nous sommes de taille à lui faire face… Plus sérieuse serait l’alliance franco-russe.

Mais après avoir exprimé cette opinion, il se reprenait en alléguant qu’un rapprochement entre la Russie et la France n’était pas réalisable.


II

Eclairé sur les dispositions du chancelier par notre ambassadeur à Berlin, le gouvernement français en ressentait les plus vives inquiétudes. Ne pouvait-on tout craindre d’un homme qui n’était pas maître de ses nerfs, et dont les pensées restaient presque toujours mystérieuses ? La campagne persécutrice qu’il avait entreprise contre le clergé catholique allemand lui causait les plus cruels soucis. En Allemagne, elle avait suscité de graves mécontentemens, et les Puissances s’accordaient à y voir un péril redoutable. Elles soupçonnaient le chancelier de chercher dans la guerre un dérivatif à ses difficultés intérieures et aux déceptions diplomatiques que lui créait sa politique persécutrice. L’ambassadeur d’Angleterre à Berlin disait en parlant de lui :

— Cet homme est le perturbateur de l’Europe.

Ce n’est pas seulement dans la bouche des diplomates étrangers que cette accusation trouvait un écho. Elle se propageait dans les milieux catholiques de l’Empire allemand, et notamment en Bavière où la campagne antireligieuse du chancelier provoquait des colères dont le particularisme bavarois non encore apaisé se faisait une arme contre lui. Mais il ne