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soutenu, parce que l’Allemagne avait tout profit à le voir rester en place. De Moltke est du même avis que lui. »

Prévoyant la chute de la République, Bismarck dit nettement que l’intérêt de l’Allemagne est le rétablissement des Bonaparte qui, selon lui, sont moins à redouter que les Orléanistes, lesquels cependant le seraient encore moins que le Comte de Chambord. Mais il considère que ce dernier est complètement abandonné. Déjà, au moment où, dans l’Assemblée de Versailles, on discutait la question du service obligatoire, le chancelier déclarait déjà « qu’il ne fallait pas laisser aux Français le temps de se rendre dangereux. » S’il renonça à envoyer au gouvernement de la République un ultimatum lui défendant de laisser voter la nouvelle loi militaire, nous savons qu’il en eut un moment l’idée. Ce qui ne cesse de le hanter, c’est le désir d’empêcher la France de devenir assez puissante à l’intérieur et assez respectée à l’étranger pour trouver des alliances. Il déclarera cyniquement que la République en proie à des troubles intérieurs, c’est la paix garantie. Il reconnaît cependant qu’une République forte serait, à tous les points de vue, un dangereux exemple pour l’Europe monarchique ; mais il estime que la meilleure solution pour l’Allemagne, c’est que la situation en France reste ce qu’elle est. S’il devait y avoir un changement, c’est encore le rétablissement des Bonaparte qui ferait le mieux l’affaire de l’Allemagne. « Ils rencontreraient des difficultés. » Il pousse si loin cette démonstration qu’Hohenlohe lui demande quelle conduite, une fois à Paris, il devra tenir à l’égard des Bonapartistes.

— Rien pour eux, rien contre eux, répond Bismarck. La République la plus rouge nous serait encore plus profitable que la monarchie, qui rendrait la France capable de s’allier.

Ainsi éclate à tout propos son incroyable ressentiment à l’égard du vaincu. A peine est-il besoin de faire remarquer en passant que son langage n’est pas à l’honneur de sa prévoyance. Qu’il redoute une revanche prochaine ou que, pour les besoins de sa politique, il feigne de la redouter, ce n’est pas là ce qui peut surprendre, étant donné ce que nous savons de sa nervosité, de sa violence naturelle et de son esprit de ruse. Ce qui étonne de la part d’un homme d’Etat de sa trempe, c’est qu’il pose comme principe que la France républicaine sera toujours hors d’état de trouver des alliés. Il ne peut ignorer cependant combien les