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prolonger la lutte en ayant recours à la guerre souterraine ; et ils n’ont pas vu qu’ils rendaient ainsi de jour en jour plus formidable le blocus qu’ils n’avaient pas su éviter, qu’ils donnaient à leurs ennemis le temps de réparer toutes les lacunes de leur préparation antérieure, et, pendant qu’eux-mêmes s’usaient sans profit et sans gloire, d’accumuler et de jeter contre eux des forces sous le poids desquelles ils ne pourraient manquer de périr. Le miracle de la victoire française a pour pendant le prodige de l’aberration allemande.

En France, comme chez nos alliés, on sut, en effet, bien utiliser le répit que l’imprudente Allemagne nous accordait. Nous avions eu tous le tort de nous laisser surprendre par une guerre que nos ennemis avaient mis, eux, quarante-quatre ans à préparer et à machiner, et à laquelle, nous, nous n’avions même pas songé quarante-quatre mois. En huit mois, tout le temps perdu fut presque regagné. On saura un jour le prodigieux effort d’improvisation, d’invention, d’activité, que la France tout entière a fourni depuis huit mois. Sans méconnaître le moins du monde tout ce qu’elle a dû à ses alliés, on devra avouer qu’elle s’est surtout sauvée elle-même. Sur plus d’un point essentiel, nous étions, au début de la guerre, très inférieurs à nos adversaires ; nous leur sommes maintenant au moins égaux, souvent supérieurs, et, pourtant, leurs usines et leurs arsenaux, à eux aussi, n’ont point chômé depuis huit mois. On conte que notre artillerie lourde les désespère aujourd’hui, tout autant que notre artillerie de campagne ; et si, parfois, nos réserves de munitions ont jadis été insuffisantes, nous pouvons maintenant être aussi prodigues de nos obus et de nos balles qu’ils l’ont été, au début, à notre égard, — et sans avoir la crainte de voir le cuivre nous manquer un jour,

Ces observations, qui sont aujourd’hui familières au bon sens français, justifient l’endurance allègre dont font preuve nos soldats dans les tranchées, et la patience dont la population civile ne s’est guère départie durant ces huit mois de guerre et d’invasion ; mais peut-être ne suffisent-elles pas à les expliquer entièrement. La raison, le bon sens, — l’Allemagne nous le prouve assez tous les jours, — ce n’est pas toujours ce qui guide les peuples ; et l’endurance et la patience, qui passaient pour des vertus germaniques, n’étaient point, jusqu’à présent, considérées comme des vertus particulièrement françaises.