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avant tout et maintenir intact et libre, c’était l’armée, instrument des victoires futures. Et sacrifiant tous les généraux qui s’étaient montrés inférieurs à leur tâche, sacrifiant une large bande du territoire national, il recula. Il recula rapidement, méthodiquement, infligeant, chemin faisant, à l’ennemi de partiels, mais sanglans échecs, l’affaiblissant, le fatiguant, l’usant par tous les moyens, faisant le vide devant lui, devinant ses plans, utilisant sa sauvage impatience, guettant ses moindres fautes, l’attirant enfin peu à peu sur le terrain où la lutte pouvait s’engager dans les conditions les plus favorables pour nos troupes. Le a septembre, ces conditions se trouvèrent réalisées. L’offensive fut commandée par un ordre du jour dont la mâle et sobre éloquence restera célèbre. La France allait être sauvée.

Et pendant ce temps-là, la France se montrait digne de ses soldats et de leurs chefs. Car, tandis que la France du Nord et de l’Est acceptait en frémissant, mais sans se plaindre, d’être brutalement envahie, Paris, ses précautions prises, restait admirable de tranquille dignité. Paris vaquait à ses affaires, plus grave assurément que de coutume, mais sans fièvre, et avec cet air d’élégante intrépidité qui caractérise la bravoure française. Paris attendait. Quoi ? Il ne savait. Il ne savait qu’une chose, c’est qu’il serait défendu « jusqu’au bout. » On lui avait donné comme gouverneur militaire un de ces généraux qui, formés à la rude école de nos guerres coloniales, à l’instar d’un. Joffre ou d’un Lyautey, hommes de pensée et hommes d’action tout ensemble, savent préparer et gagner des batailles et en même temps organiser et administrer un pays. Choix heureux, s’il est vrai que l’armée de Paris ait singulièrement contribué ç la victoire de la Marne. Défendu par Galliéni, Paris avait confiance ; mais il était prêt à tout, sachant les fortifications de son camp retranché provisoirement insuffisantes. De jour en jour, d’heure en heure, il prêtait l’oreille au bruit prochain du canon. Un matin, il apprenait que la menace allemande s’éloignait, et, comme il y a quinze siècles, sans raison apparente, que les hordes barbares se détournaient de la capitale, marchant au fatidique rendez-vous des champs catalauniques. Paris était sauvé.

Pas plus qu’il y a quinze siècles Paris n’a compris le mystère de sa délivrance. J’ose dire que ce mystère est plus incompréhensible aujourd’hui qu’il ne le fut il y a quinze siècles.