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du service. Les hommes s’empressent, lui cèdent leur place : il refuse de s’asseoir, reste debout pendant tout le trajet, et engage la conversation. Sur ce ton de simplicité cordiale et familière que même un lieutenant allemand ne saura jamais prendre, il cause, il répond aux observations des uns et des autres ; il dit que nous n’avons pas voulu la guerre, qu’elle nous a été imposée, et que chacun doit faire son devoir ; qu’il y aura de rudes journées où tout le monde, lui comme les autres, souffrira de la faim, de la soif, du manque de sommeil, mais que la France vaut bien tous ces sacrifices… Et à mesure qu’il parle, traduisant la pensée de tous, on a comme la sensation anticipée de cette étroite et confiante solidarité qui, à la guerre, s’établit entre le troupier français et son chef, et dont on nous a, depuis, donné tant d’exemples. Quand le train s’arrête, des poignées de main, des vœux, s’échangent ; l’officier a conquis tous ses hommes ; demain, au feu, il fera d’eux ce qu’il voudra. — Entre temps, est monté dans notre compartiment un jeune homme que sa femme, un bébé dans les bras, a accompagné jusqu’au bout ; ils s’embrassent longuement, gravement ; la femme est admirable de simplicité, de sérénité ; pas une larme ; dans ce visage un peu pâle on sent la volonté virile, presque tragique, de ne pas faiblir ; et je n’oublierai jamais le geste énergique et tendre avec lequel elle a tendu au père, par la portière ouverte, la tête de son enfant pour un dernier baiser… Ah ! ces Allemands qui nous croyaient un peuple fini, comme ils se sont trompés sur nous !

Et ces impressions qui nous ont mis dès l’abord tant d’espérance au cœur, quel est celui d’entre nous qui n’en a pas recueilli d’analogues ? Voici, entre tant d’autres, celles de M. Emile Faguet :


11 août. — Les trains passent, chargés de soldats qui rejoignent. Beaucoup trop à mon avis, chantent et crient. Mais la plupart sont calmes et fermes, avec une grande simplicité dans les attitudes et une admirable décision dans les regards. Somme toute, ils sont pleins de confiance et ils en donnent. On sent qu’ils sont prêts à tout et que rien ne les surprendra ni ne les intimidera. Dieu ! dans leurs vestes de toile et leurs pantalons de treillis, Dieu ! qu’ils sont beaux ! Leurs paroles sont sans trouble comme aussi sans jactance : « Ce ne sera pas long ; mais, du reste, tant qu’il faudra ! » — « Quand chacun est sûr de tous les autres, il y a du bon. » Le bon sens français et le courage français sont dans chacune de leurs paroles. Braves enfans !