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l’uniforme ; ils se sont soumis aux dures exigences de la discipline ; ils ont retrouvé au fond de leur âme l’esprit qui animait les volontaires de 92. Et assurément, de voir leurs amis politiques aux prises, en ces graves circonstances, avec les difficultés et les responsabilités du pouvoir, cela n’a pas nui à leur brusque conversion. Mais enfin, ils se sont convertis, et on n’a pas à leur demander autre chose.

Une conversion qui semblait devoir offrir plus de difficultés, et qui a eu lieu pourtant, est celle des divers groupes socialistes et révolutionnaires. Convenons-en : quand les premiers bruits de guerre commencèrent à circuler, c’est du côté de la Confédération générale du Travail que nous avons tous regardé avec le plus d’inquiétude. Et sans doute, nous avions tort d’être inquiets, l’événement l’a bien prouvé. Mais quoi ! dans les milieux ouvriers, l’Evangile selon saint Marx avait fait tant de croyans ! On nous avait tant rebattu les oreilles de la « lutte des classes, » de l’ « Internationale,. » des revendications prolétariennes, de la « grève générale ! » On avait si souvent déclaré la « guerre à la guerre, » déclamé contre la « société bourgeoise, » contre le « préjugé » patriotique ! On nous avait si souvent menacés de « saboter » la mobilisation, de tirer sur les officiers, de désorganiser la défense nationale ! On professait un culte si aveugle pour la « Social-démocratie ! » Soyons bien assurés, — ils l’ont dit assez haut ! — que nos ennemis comptaient sur Jean Jaurès pour provoquer une nouvelle Commune. Ce rêve a été déçu, comme tant d’autres. Nos socialistes ont fait tout leur devoir, comme les socialistes allemands ont fait le leur. Moins logiques que les nôtres, et certainement moins francs, plus officiellement embrigadés en tout cas, ces derniers, nous le savons aujourd’hui, s’étaient dérobés à l’offre d’une entente entre les « travailleurs » des deux pays en vue de faire avorter la guerre. Ce fut un trait de lumière pour les « camarades » français. Ils comprirent qu’on les avait dupés, et qu’à persévérer dans leurs théories et leurs velléités insurrectionnelles, c’est le jeu même de l’Allemagne belliqueuse et militariste qu’ils allaient jouer. Bien convaincus d’ailleurs que la France n’avait pas voulu la guerre, et qu’elle avait même tout fait pour l’éviter, ils se persuadèrent que combattre vaillamment pour elle, c’était combattre pour leur propre idéal, préparer l’avènement de la paix perpétuelle et de la « République