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de leur patriotisme ; si on les avait plus souvent écoutés, qui pourrait nier que la France de 1914 eût été plus prête à la lutte ? Beaucoup d’entre eux, à plus ou moins longue échéance, s’attendaient à la guerre ; quelques-uns ne savaient s’ils devaient l’espérer ou la craindre ; presque tous s’y préparaient et tâchaient d’y préparer l’opinion. Tous, en tout cas, bien convaincus qu’une nation, suivant le mot profond de Renan, est avant tout « une création militaire, » déplorant que la France ne jouât plus dans le monde le rôle glorieux qu’elle y jouait autrefois, mettaient dans l’année leur suprême espoir et leur suprême pensée et comptaient invinciblement sur elle pour le moment où sonnerait l’heure du relèvement national. Royalistes, bonapartistes, nationalistes, progressistes, libéraux ou traditionalistes de toutes nuances politiques n’ont donc eu aucun mérite à courir immédiatement au drapeau ; ils en ont eu davantage à oublier sur-le-champ les nuances ou les graves oppositions qui les séparaient les uns des autres, et, bien plus encore, des pouvoirs constitués, à se grouper sans hésitation autour des représentans d’un régime dont ils réprouvaient les erremens et les tendances, et qu’hier encore ils combattaient de toute leur énergie. Nous voulons croire que leurs adversaires, à leur place, eussent fait preuve d’un semblable désintéressement.

Ceux qui se baptisaient « républicains de gauche, » radicaux ou radicaux-socialistes, sont revenus de plus loin. Combien d’entre ces fiers descendans des « grands ancêtres » de 93 avaient glissé aux candides chimères du pacifisme, déclamé contre la guerre, dénoncé les dangers du « militarisme, » protesté contre notre expansion coloniale, cru à la possibilité d’une entente avec l’Allemagne, condamné l’idée de la revanche, et renoncé, dans le secret de leur cœur, à nos deux provinces perdues ! Combien avaient imprudemment lésiné sur les crédits militaires, et même, parmi ceux qui s’étaient résignés à la loi de trois ans, combien s’apprêtaient, aussitôt que l’occasion s’en présenterait, à défaire leur œuvre ! Combien enfin avaient, dans mille circonstances, témoigné à l’armée leur défiance, ou même leur hostilité, comme si, dans chaque général, il y avait l’étoffe d’un héros de Brumaire 1 Eh bien ! tous ces préjugés, toutes ces préventions, toutes ces nuées, l’ouragan qui venait de l’Est les a dissipés sans retour. La grâce a soufflé sur nos radicaux : ils se sont réveillés fervens patriotes ; ils ont endossé