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galant ; mais elle lui répète qu’elle veut sauver l’Italie. « J’écris au Pape et, s’il y a en lui l’étoffe d’un homme d’Etat, je prendrai bientôt mon espingole ! » C’était en 1846… Mais voyant que son interlocuteur ne s’intéresse pas au Pape, et sachant où il veut en venir, elle lui dit froidement : « Votre horloge retarde, nous ne sommes pas ici-bas pour nous amuser. » Alors, Houssaye, qui n’est pas de cet avis, nous avoue sa défaite et il fait comme Musset, il dit en la quittant : « Ci-gît une femme qui a été aimée, mais qui n’a pas aimé[1]. » Car c’est une disposition assez masculine d’accuser de froideur une femme auprès de laquelle on a échoué. Un écrivain contemporain a dit : « Les hommes se vengent avec cruauté des femmes qui ont été plus passionnées pour les idées que pour l’amour ; c’est un vol qui leur est fait[2]. »

Pendant ce temps, le bel Emilio, renonçant à la politique, avait enlevé la duchesse de P… Il s’enferma douze années avec elle dans sa villa Pliniana sur le lac de Côme, puis elle l’abandonna. C’était la première fois que pareille aventure arrivait à ce volage, il ne s’en consola jamais. La princesse sa femme, que cet enlèvement avait laissée impassible, continuait à Paris sa propagande et ses menées politiques.


V

En 1845, elle apparut à Milan pour les affaires de son journal, la Gazzetta Italiana, qui venait d’être interdit ; puis chez elle, à Locate. Plus que jamais suspecte au gouvernement de Metternich, elle peut jouir cependant de l’amnistie de 1838. Elle en profite pour s’occuper très habilement du sort de ses paysans, car sans doute a-t-elle voulu faire d’eux les partisans de l’avenir. Mais, pour atteindre ce but, il faut les éduquer, les éclairer, les mettre à même de comprendre. Alors, elle se jette avec impétuosité dans cette nouvelle voie : l’amélioration des masses. Pendant plusieurs mois, elle se fait oublier de Vienne et elle se donne à la réalisation de ses projets. Elle fait de la bonne démocratie, construit des logemens salubres, instruit les enfans, fonde des cercles pour les paysans ; dans son château, elle en héberge trois cents, qui se récréent et se chauffent

  1. Confessions d’Arsène Houssaye.
  2. Mme Juliette Adam, Mes premières armes littéraires et politiques.