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dès qu’il voit le véritable repentir[1], » et cette image est assez plaisante : le vieil Empereur tortionnaire, un bon père ! On ne voit guère non plus notre dame impétueuse repentante ! M. Barbiera, qui connaît admirablement la question, croit qu’elle usa de ruse, et dupa les puissans inquisiteurs de la Cour de Vienne, sans en excepter Metternich. Sa fortune lui étant indispensable pour l’œuvre qu’elle avait entreprise, elle désirait se faire rendre, sinon ses biens, du moins ses revenus, et fit croire à Vienne que l’air de la Lombardie était nuisible à sa santé. Sans doute ne respirait-elle bien qu’en France où elle avait affaire ? Bref, elle dupa tout le monde et on l’appela chez les hauts fonctionnaires la très astucieuse : l’astutissima. Mais, lorsqu’on s’en rendit compte, il était trop tard. Dans un rapport adressé à Seldnitzky, président de la haute police de Vienne, Metternich conclut que « ce serait chose sage de permettre à la princesse Belgiojoso de disposer librement de ses biens, mais seulement après son retour en Lombardie, et, en attendant ce retour, de limiter son séjour à l’étranger au temps nécessaire à sa santé. Passé ce temps, on lui accordera seulement une pension alimentaire indispensable[2]. »

Bientôt le vieil Empereur mourut et une amnistie générale fut accordée pour l’avènement de Ferdinand Ier aux condamnés politiques.

Notre exilée va abandonner son rôle de proscrite pauvre. Le manteau de Peau-d’Ane va tomber ; et voici maintenant une belle princesse éblouissante !


IV

Elle habite rue Neuve-Saint-Honoré, à côté de son vieil ami La Fayette, qui la protège et la reçoit à ses mercredis où elle a grand succès. Elle a un hôtel, dans lequel le Tout-Paris artistique, politique et mondain se réunit, se presse et se divertit. Elle a un grand nègre enturbanné, qui introduit d’abord ses amis dans un oratoire éclairé de vitraux gothiques, meublé d’un prie-Dieu que surmontent un large volume des Pères de l’Église

  1. Mémoires du comte Apponyi, vol. III, p. 31.
  2. Dal Tedesco, Archivio del Ministera degli Interni a Vienna, n° 7752. Année 1832, cité par Barbiera