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A vingt ans, une femme belle comme était la sienne, et fière, ne se résout pas aisément au rôle d’Ariane. La princesse Cristina avait aimé passionnément son mari et souffrit de sa conduite ; mais, orgueilleuse, elle savait déjà, par l’impassibilité qu’elle imposait à son beau visage, faire croire à sa froideur ; bref, ils se séparèrent à l’amiable, et la jeune femme se consacra de toute son âme à la Propagande de ses idées politiques, à l’Indépendance de l’Italie.

Les sociétés secrètes l’attiraient ; sur ce point, la libération de leur pays, le prince Emilio Belgiojoso et sa femme étaient d’accord, — sur ce seul point d’ailleurs, et il faut le noter, — ils aimaient leur Patrie du même amour et souvent ensemble, après leur séparation, ils travaillèrent à la même tâche.

D’Alton-Shée a écrit : « Entre Christine Belgiojoso et son mari, dissentiment général, hormis sur un point : l’affranchissement de la Patrie[1]… » Depuis la condamnation de Confalonieri, le prince était président de la Federazione, une des Sociétés secrètes les plus importantes de l’époque. Cependant le patriotisme du prince Emilio, quelque généreux, actif et dévoué qu’il fût, ne ressemblait en rien à celui de sa femme. Chez elle, c’était une religion. Douée d’une foi extraordinaire, elle apporta une persévérance telle à son entreprise que rien ne la rebuta, aucune épreuve, aucune déception, aucun sacrifice ; mais suspecte à la cour d’Autriche, la jeune princesse fut entourée d’espions.

Un soir à Milan, avant sa séparation, en 1828, le comte A. Giuseppe Batthyany donne un bal costumé, toute l’aristocratie est là. Les femmes sont belles, les costumes somptueux. La princesse Belgiojoso, une ferronnière au front, apparaît en dame de la cour de François Ier, et le prince, en maillot blanc, c’est François Ier lui-même ! Au milieu de la soirée, la princesse a pour vis-à-vis un superbe Pierre Arétin, et cet Arétin qui a si belle allure et danse de si galante façon, c’est Gaëtano Barbieri, espion aux gages de Torresani, le directeur de la police autrichienne.

Un autre ne la quitte guère, c’est Pietro Svegliali. Même, il est las ; il n’en peut plus, car sa « cliente » voyage sans cesse, de Milan à Genève, puis sur le lac Majeur, puis à

  1. D’Alton-Shée, Mémoires.