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l’Histoire de France. De soi-disant « surcivilisés » du XXe siècle ont en quelques heures stupidement et criminellement anéanti ce que les « barbares » du Moyen Age avaient mis près de deux cents ans à édifier, à sculpter, à embellir sans cesse, avec foi et avec amour.

Cette façon de se venger d’un pays qui se permet de résister à l’envahisseur est presque un symptôme de désarroi et de faiblesse. Quand on a confiance, sinon en sa cause, du moins en sa force, on ne s’abaisse pas à de pareilles vilenies. Les Allemands ont voulu détruire le symbole des plus grands souvenirs de la France. À Reims fut baptisé Clovis. À Reims Jeanne d’Arc fit sacrer Charles VII. La vaillante enfant de Lorraine lui avait donné l’énergie nécessaire et l’espoir invincible. Les voûtes de la cathédrale avaient vu la candide inspirée pieusement agenouillée, après qu’elle eut « bouté dehors » l’envahisseur. Sa mémoire sacrée anime civils et soldats, et l’aide sainte de l’héroïne si chère à tous les cœurs, si représentative de l’âme française, contribuera à sauver la France, et, avec elle, la culture latine et la civilisation.

Une œuvre splendide d’art et de foi telle que la cathédrale de Reims, en dehors de son rôle historique et de sa valeur nationale pour la France, appartient au patrimoine religieux et artistique de l’humanité tout entière. Son anéantissement absurde et prémédité devait infailliblement provoquer l’indignation et la réprobation universelles. Cet acte de furieuse démence se retournera contre les vandales qui l’ont commis. Ainsi que l’a si justement écrit le chroniqueur militaire du Journal de Genève, un crime semblable équivaut à une grande bataille perdue.

Grandiose fut le mouvement unanime qui souleva la France. Quel miracle de l’avoir vue, si profondément divisée avant la semaine tragique se ressaisir subitement et se retrouver unie en un seul faisceau ! Du jour au lendemain, plus de partis, plus de classes, plus de laïques, plus de prêtres, — tous des Français, simplement, et l’antique âme nationale ressuscitée pour faire front à l’ennemi. Et, dans l’absolue conscience de votre droit irréfragable et de votre juste cause, quel enthousiasme intérieur et réfléchi, quel calme, quelle sérénité, à la fois grave et cependant presque joyeuse, quelle patience, quelle volonté inflexible de vaincre et d’aller jusqu’au bout ! Ah ! combien les amis de la France, qui, malgré tout, n’avaient jamais douté d’elle, en ont