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Tel est le double conseil que lui donne Méphistophélès, son âme damnée : user hardiment des ressources de sa nature, et ensuite, au lieu de se perdre en sottes spéculations sur l’infini, accroître sa force de toutes celles que le monde tangible et visible peut mettre à son service. Si la science théorique ne sert ni ne mène à grand’chose, la science pratique nous permet de capter et d’employer à notre usage les puissances naturelles. Ainsi l’homme arrive à réaliser des prodiges, eu égard à sa faiblesse originelle. Cette science-là, Faust la désigne par un vieux mot peu orthodoxe : la magie. Elle est magique, en effet, selon le sentiment populaire, d’abord par les merveilles qu’elle produit, ensuite par ce qu’elle a de troublant pour la conscience. Elle est étrangère à toute morale. Elle fait le bien et le mal indifféremment et même plus souvent le mal que le bien.

Le secret en est révélé à Faust par ce Méphistophélès, qui se définit lui-même : l’Esprit qui toujours nie. Et aussitôt il ajoute, afin que le docteur n’en ignore : « Tout ce que vous appelez péché, destruction, le mal en un mot, est mon propre élément. » Il est l’âme des grandes catastrophes cosmiques et aussi le ferment des plus infimes pourritures et des plus lentes décompositions. Il est la grande puissance destructive de la nature, en conflit perpétuel avec cette autre grande puissance qui répare et qui reconstruit sans cesse l’unité et la beauté du monde. Puissance dangereuse, terrible en ses explosions, mais que l’homme peut maîtriser partiellement et faire collaborer à ses fins. Faust n’hésite pas à lier un pacte avec elle. Il n’a aucune illusion sur la valeur morale de son allié. Il sait parfaitement que Méphistophélès est l’Esprit qui me et aussi l’Esprit qui trompe, l’Esprit de fourberie, de méchanceté et de destruction, — l’Esprit du mal en un mot. Mais l’homme, qui aspire à se libérer, n’a pas le droit d’être difficile. Il a même le devoir d’accepter toutes les amitiés qui s’offrent, d’utiliser toutes les chances, pourvu qu’elles le conduisent au but.

Ecartons tout de suite une objection : c’est que Goethe ne saurait être rendu responsable ni des propos, ni des méfaits de son personnage. L’Olympien, hautement impassible et impersonnel, se borne à refléter, dans le pur miroir de son intelligence, l’image des choses et des êtres, et à les représenter par son art. L’objection serait valable, s’il s’agissait d’un de nos