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dit Faust à Hélène. Agir pour agir, sans autre but que la perfection même de l’acte, telle est la loi du surhomme : « L’action est tout, la gloire n’est rien. » Jamais de relâche, fût-ce dans l’ivresse du triomphe. Jamais de défaillance, fût-ce au paroxysme de la volupté ou de la passion. Honte à celui qui se laisse prendre par la joie ou la beauté de l’heure, au point de vouloir arrêter la roue du temps et de s’écrier : « Instant, tu es trop beau ! » En avant, toujours en avant : il n’y a pas d’autre issue pour le forçat enthousiaste du vouloir, pour le damné bienheureux de l’action.

Rien ne doit limiter sa puissance, rien ne doit gêner l’expansion de sa riche nature. Que d’autres jeûnent et se mortifient. Lui, il repousse toute contrainte et toute diminution. En vain la morale du monde, comme celle du prêtre, lui corne aux oreilles : « Il faut te priver, te priver ! Il le faut ! » Faust, le surhomme, abomine la privation. Son devoir est de se réaliser dans la plénitude de ses appétits, de ses désirs et de ses aspirations. Et c’est pourquoi il a la haine du sacrifice, il est farouchement anti-chrétien. Il se rit des morales et des codes. Son champ d’action est situé par-delà le bien et le mal. Bon pour la canaille d’avoir une morale, la morale des esclaves : le surhomme ne connaît d’autre règle que sa volonté, mais il est assez intelligent pour respecter les préjugés de la multitude. Le peuple croit à la médecine : flattons sa manie, administrons-lui les potions qu’il demande, quitte à l’expédier dans l’autre monde par les voies les plus rapides. Ainsi en usait le propre père du docteur, le bonhomme Faust, qui jamais n’hésita à ingurgiter ses drogues aux patiens : « Ceux-ci mouraient, — dit le fils à son confident, Méphistophélès, — et personne ne demandait qui avait guéri. Dans les vallées et les montagnes de ce pays, avec nos mixtures d’enfer, nous avons fait cent fois plus de ravages que la peste. Moi-même à des milliers j’ai présenté le poison. Ils sont morts, et je survis pour entendre célébrer les hardis meurtriers. »

Ce cynisme, chez Faust, s’allie tout naturellement à une espèce de tartuferie transcendante. Entre libres esprits, on peut faire assaut d’impiétés et de sarcasmes contre l’Eglise : il convient cependant que le peuple ait de la religion. Aussi, lorsque les fils ou les proches de ces paysans, que Faust et son père ont empoisonnés par milliers, lorsque ces braves gens